Une entreprise québécoise liée à de l’équipement pour des exécutions aux États-Unis

De l’équipement fabriqué par la filiale d’une entreprise québécoise doit être utilisé pour des exécutions aux États-Unis, affirment des organismes critiques du système carcéral.

L’État de l’Alabama prévoit d’exécuter jeudi le détenu Kenneth Smith par asphyxie à l’azote, un gaz incolore et inodore qui prive l’organisme d’oxygène lorsqu’il est inhalé.

Le masque et le tube qui serviraient comme respirateur sont fabriqués par Allegro Industries, selon les organismes à but non lucratif Worth Rises et Responsible Business Initiative for Justice, basés aux États-Unis.

Allegro, une entreprise de la Caroline du Sud, est une filiale de la société québécoise Walter Technologies pour surfaces, elle-même détenue en partie par la société torontoise de capital-investissement Onex.

« À notre avis, qui que ce soit, quelle que soit la société, ne devrait pas tirer profit du trafic de mort, a déclaré Dana Floberg, directrice des campagnes chez Worth Rises. Il y a un argument à faire valoir selon lequel c’est également inhumain, car ça équivaut à mener des tests expérimentaux sur un être humain. »

Kenneth Smith, âgé de 58 ans, serait le premier détenu aux États-Unis à être exécuté par cette méthode non testée.

Plus tôt ce mois-ci, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a déclaré que cette méthode pourrait causer de graves souffrances. L’agence craignait « sérieusement que l’exécution de M. Smith dans ces circonstances ne constitue une violation de l’interdiction de la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

« Nous craignons que l’asphyxie à l’azote n’entraîne une mort douloureuse et humiliante », ont déclaré dans un communiqué le 3 janvier quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU sur l’exécution, la torture, la santé mentale et le système judiciaire — respectivement : Morris Tidball-Binz, Alice Jill Edwards, Tlaeng Mofokeng et Margaret Satterthwaite.

Comme mode d’euthanasie des mammifères, l’Association américaine des médecins vétérinaires ne permet l’asphyxie à l’azote que pour les porcs. Les autres espèces devraient d’abord être rendues inconscientes « via une méthode acceptable », stipulent les lignes directrices de 2020 de l’Association.

Or, l’Alabama ne prévoit aucun sédatif initial pour les détenus qui doivent être exécutés par cette méthode.

Les entreprises citées par les organismes militants n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Les autorités pénitentiaires ont de plus en plus de mal à se procurer les produits chimiques nécessaires à l’injection létale utilisée habituellement pour les exécutions, car les sociétés pharmaceutiques interdisent l’utilisation de leurs produits à cette fin.

Plusieurs États, dont l’Oklahoma et le Mississippi, ont donc autorisé l’azote gazeux comme moyen d’exécuter les détenus condamnés à mort — même si l’exécution de jeudi en Alabama constituerait une première aux États-Unis.

Certaines entreprises ont aussi renoncé à participer à cette méthode. Airgas, le plus grand distributeur de gaz conditionné aux États-Unis, a annoncé plus tôt ce mois-ci qu’il ne fournirait pas d’azote aux prisons de l’Alabama.

« Malgré le débat philosophique et intellectuel sur la peine de mort elle-même, la fourniture d’azote à des fins d’exécution humaine n’est pas conforme aux valeurs de notre entreprise », a déclaré la porte-parole, Kim Menard.

En février dernier, sous la pression de militants et de groupes religieux, la société FDR Safety, du Tennessee, a annoncé qu’elle se retirait d’un contrat conclu avec l’Alabama visant à aider cet État à développer le nouveau protocole d’exécution par asphyxie à l’azote.
Tueur à gages

Kenneth Smith et un autre homme avaient été reconnus coupables en 1989 du meurtre d’une femme, contre rémunération, dans le nord-ouest de l’Alabama.

Smith et John Forrest Parker avaient reçu chacun 1000 $ pour assassiner Elizabeth Sennett pour le compte de son mari, le pasteur Charles Sennett, qui était lourdement endetté et voulait toucher l’assurance-vie, selon les procureurs.

Après un nouveau procès en 1996, Smith a de nouveau été reconnu coupable de meurtre passible de la peine capitale et il a été condamné à mort par électrocution. Son coaccusé Parker a été exécuté par injection mortelle en 2010. Le pasteur Sennett, quant à lui, s’était suicidé pendant l’enquête.

Smith croupit dans le « couloir de la mort » depuis plus de trente ans. En 2022, les responsables de la prison du département correctionnel de l’Alabama ont bâclé une exécution par injection mortelle, perçant son corps à plusieurs reprises, pendant plusieurs heures, mais sans parvenir à trouver une veine, avant d’annuler l’exécution.

Le 10 janvier dernier, un juge fédéral a approuvé l’exécution de Smith par hypoxie à l’azote. Et la semaine dernière, le bureau du procureur général de l’Alabama a déclaré aux juges de la Cour d’appel fédérale qu’il s’agissait de « la méthode d’exécution la plus indolore et la plus humaine connue de l’homme ».

Mais selon certains médecins et opposants, on ne sait pas ce que Smith ressentira exactement pendant cette procédure nouvelle.

« Quel effet le condamné ressentira à cause de l’azote lui-même, personne ne le sait », a écrit dans un courriel le docteur Jeffrey Keller, président du Collège américain des médecins en milieu carcéral. « Ça n’a jamais été fait auparavant. C’est une procédure expérimentale. »

Le Canada a aboli la peine de mort en 1963, lorsque les gouvernements ont commencé à commuer toutes les peines capitales. En 1976, la peine capitale pour meurtre a été interdite par une loi. En 1999, la peine de mort pour d’autres délits – espionnage pour le compte de l’ennemi, par exemple – a été aussi interdite.

La dernière exécution au Canada avait eu lieu en décembre 1962, par pendaison, à la prison Don de Toronto.

Avec des informations de l’Associated Press

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