Justice pour Nicholas Gibbs : Décision de la Commissaire à la déontologie policière suite à une plainte contre l'agent Philippe Bertrand du SPVM, matricule 5846

Par Alexandre Popovic

Aucun maudit bon sens
C’est ça que je pense de la décision que la Commissaire à la déontologie policière a rendue en réponse à ma plainte contre le flic qui a tué Nicholas Gibbs, 23 ans, dans NDG le 21 août 2018
On se rappellera que la désastreuse intervention du SPVM avait été filmée par un citoyen et que la vidéo avait été diffusée dans les médias
On peut y voir l’agent Philippe Bertrand, matricule 5846, faire feu à cinq reprises, dont trois fois alors que Nicholas Gibbs lui tourne le dos et s’éloigne de lui et de ses collègues, Alain Beauséjour, matricule 6765, et Paul Moarcas, matricule 7012
Le rapport du coroner m’a par ailleurs appris que c’est l’un de ces trois tirs qui a causé le décès de Nicholas
On se rappellera aussi que la directrice du Bureau des enquêtes indépendantes avait écrit au directeur du SPVM, un mois plus tard, pour dénoncer la conduite de plusieurs policiers qui n’ont pas respecté sa juridiction d’enquête
La lettre révélait que des patrouilleurs du SPVM avaient soutiré des déclarations à des témoins de l’événement et qu’ensuite, ces déclarations avaient été remises à des enquêteurs du SPVM, le tout avant que les enquêteurs du BEI n’arrivent sur les lieux
Autrement dit, le SPVM a empiété sur les platebandes du BEI en ne respectant pas la préséance de cette soi-disante « police des police », ce qui contrevient clairement au Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes
J’en avais fait un motif de plainte additionnel
La Commissaire à la déontologie policière n’a rien retenu de ma plainte
Dans sa décision, elle justifie la décision de l’agent Bertrand de faire feu en disant qu’il a employé la force mortelle pour protéger son collègue Moarcas
Dans la vidéo, on peut voir Nicholas Gibbs avancer en direction de l’agent Moarcas – on sait aujourd’hui qu’il avait un couteau à la main
Fait à noter, l’agent Moarcas a dégainé dès son arrivée sur les lieux de l’intervention mais n’a pas tiré une seule balle
Ce qui me fait dire que l’agent Moarcas n’était vraisemblablement pas d’avis qu’un danger imminent pesait sur sa vie
Aussi, il me semble que c’est lui, et non l’agent Bertrand qui est le mieux placé pour savoir si sa vie est en danger ou non
Dans sa décision, la Commissaire écrit que l’agent Moarcas tente de reculer pour créer une distance entre Nicholas Gibbs et lui, mais ajoute que « son chemin est bloqué par un véhicule qui circule sur Maisonneuve », et conclut que le policer « est donc confiné entre le véhicule et monsieur Gibbs qui continue d’avancer vers lui » et « n’a pas la capacité de battre en retraite »
Le problème, c’est que c’est pas ça qu’on voit sur la vidéo
L’agent Moarcas n’est pas du tout « confiné » ; il pouvait facilement contourner le véhicule citoyen ou le longer jusqu’à l’auto-patrouille qui venait d’arriver en renfort pour maintenir une distance avec Nicholas Gibbs
La description de la situation faite par la Commissaire ne correspond donc pas à la réalité de ce que l’on peut constater sur la vidéo
Dans sa décision, la Commissaire défend chacun des cinq coups de feu tirés par l’agent Bertrand même si elle reconnait « qu’au moment des deux derniers tirs le risque d’agression envers l’intimé Moarcas prenait fin puisque monsieur Gibbs s’éloignait »
Sur la vidéo, on voit Nicholas avancer en direction d’arbres au moment où il est atteint de balles dans le dos; et derrière ces arbres se trouvent des voies ferrées
Rien, absolument rien, ne pouvait justifier ces coups de feu
Mais la Commissaire insiste pour défendre l’indéfendable, en affirmant que l’agent Bertrand n’aurait « pas eu le temps requis » pour réaliser que Nicholas Gibbs s’éloignait de l’agent Moarcas « et arrêter son action »
Un peu plus pis elle écrivait que c’est pas de sa faute s’il a tiré dans le dos du jeune père de famille
Mais le raisonnement de la Commissaire ne tient pas du tout la route du moment qu’on s’attarde aux faits
Plus particulièrement le fait que l’agent Bertrand cesse les tirs dès l’instant suivant le moment où Nicholas s’effondre au sol
Il était donc parfaitement en contrôle de son arme à feu
Mais il y a plus
Dans ma plainte, j’ai reproché aux trois constables impliqués de ne pas être allés administrer immédiatement les premiers soins à Nicholas Gibbs dans les minutes suivant son effondrement
Dans sa décision, la Commissaire écrit « [qu’]il s’écoule environ trois minutes entre les coups de feu et le début des manœuvres de réanimation »
Mais elle trouve le moyen de justifier cette procrastination en écrivant que « ce délai s’explique par le niveau de danger que représentait encore l’arme blanche qui se trouvait à proximité »
Encore une fois, la vidéo révèle autre chose
On y voit un policier faisant un geste pour éloigner le couteau environ 44 secondes après l’effondrement de Nicholas Gibbs
Il n’existe donc plus d’excuses à ce moment-là pour justifier tout délai additionnel dans l’administration des premiers soins
Malgré cela, les trois constables impliqués attendent encore plus de deux minutes avant de prodiguer les manœuvres à Nicholas Gibbs
Comme s’ils s’en foutaient complètement
C’est totalement inacceptable
La Commissaire refuse aussi de sévir à l’égard des manquements du SPVM que l’ancienne directrice du BEI a dénoncé dans une lettre datée du 4 septembre 2018
Elle justifie sa décision en écrivant notamment que le BEI aurait indiqué dans son bilan sur le déroulement de son enquête mis en ligne sur son site web « que les obligations des policiers impliqués, des policiers témoins et du directeur du service de police impliqué prévues au Règlement ont été respectées »
La Commissaire prend même la peine de souligner les mots « ont été respectées » dans ce passage de sa décision
Si le BEI passe l’éponge, pourquoi pas moi aussi, semble se dire la Commissaire
La Commissaire fait toutefois une mauvaise lecture du communiqué du BEI
En effet, loin de blanchir le SPVM, le BEI dit plutôt ceci : « Les informations obtenues pendant l’enquête permettent de conclure que les obligations du directeur du service de police impliqué prévues à l’article 3 du Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes n’ont pas été respectées »
La Commissaire s’est donc gourée
La conduite du directeur du SPVM a bel et bien été dénoncée publiquement par le BEI
Malgré cela, la Commissaire écrit que la conduite reprochée n’est pas « suffisamment grave pour entacher la moralité ou la probité professionnelle du policer »
Pourtant, la Commissaire semble reconnaître qu’il existe un problème au SPVM puisqu’elle annonce, vers la fin de sa décision, « qu’elle formulera une recommandation au directeur du corps de police visant essentiellement à demander une mise à jour de la directive encadrant les obligations et devoirs des policiers lors du déclenchement d’une enquête BEI et à s’assurer que les policiers reçoivent une formation adéquate relativement à leurs devoirs et obligations lors de ce type d’enquête »
Je me demande bien ce que peut donner une directive interne intimant aux membres du SPVM d’accomplir ce que la loi et la réglementation en matière d’enquêtes du BEI, en vigueur depuis plusieurs années, leur enjoint déjà de faire…
Chose certaine, je suis incapable d’accepter une telle décision
J’ai donc demandé au Comité de déontologie policière de la réviser
Cette demande de révision se veut donc une ultime tentative d’obtenir justice pour Nicholas Gibbs.

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