Mort d’un détenu à Bordeaux : L’ordre de libération serait tombé entre deux chaises

L’ordonnance de libération de Nicous D’Andre Spring, ce jeune homme mort à la suite d’une intervention physique des agents correctionnels de Bordeaux le 24 décembre dernier, aurait été reçue à la prison la veille, mais sans jamais avoir été ouverte, parce que des employés auraient quitté le bureau ou auraient été en congé ce jour-là.

C’est ce que des sources ont laissé entendre à La Presse, sous le couvert de l’anonymat, parce qu’elles ne sont pas autorisées à parler aux médias ou parce qu’elles craignent des représailles, alors que des enquêtes ont débuté et qu’une enquête publique sera aussi tenue pour faire la lumière sur cette affaire.

Nicous D’Andre Spring est mort à la suite d’une intervention au cours de laquelle du gaz poivre a été utilisé contre lui. Le Bureau du coroner n’a pas encore confirmé la cause du décès.
Comparution en fin de journée

La Presse a refait le dernier parcours judiciaire de Nicous D’Andre Spring.

L’homme de 21 ans, qui avait déjà des causes actives devant les tribunaux, a été arrêté le 20 décembre pour possession d’arme, voies de fait sur un agent de la paix et menaces.

Son enquête sur remise en liberté a été fixée au vendredi 23 décembre devant la juge Silvie Kovacevich, de la Cour du Québec. Elle a commencé à 15 h 52 et a duré à peine 15 minutes.

Nicous D’Andre Spring a comparu par visioconférence à partir de Bordeaux. Certaines informations veulent qu’aucun agent correctionnel ne l’ait accompagné dans le cubicule de comparution à la prison de Bordeaux durant son enquête pour remise en liberté ou durant une partie de celle-ci.

Il a plaidé coupable dans des dossiers de 2020 et de 2021.

Dans le premier cas, un chauffeur s’est plaint de son comportement dans un autobus et il avait un couteau de cuisine sur lui ; dans le second cas, il était agressif dans le métro, a tenté de frapper un policier et avait un couteau de boucher.

À la suite de ces plaidoyers, les parties ont noté qu’il avait été en détention préventive durant quatre jours, qui ont été calculés en temps et demi, donc l’équivalent de six jours.

« Considérant les six jours de détention préventive, je vais imposer une sentence suspendue avec probation d’un an. Vous allez être libéré avec conditions », a annoncé la juge Kovacevich.

Nicous D’Andre Spring avait d’autres causes non réglées. Pour celles-ci, il devait revenir en cour le 3 février prochain.

« C’est votre responsabilité de connaître vos dates et d’être présent à la cour », l’a prévenu la magistrate.

M. Spring a posé quelques questions afin de pouvoir récupérer son portefeuille, que la police avait confié à l’un de ses proches, ainsi que son passeport, qu’il croyait avoir perdu.

Le procureur de la poursuite, Me François Allard, a indiqué qu’une ordonnance de libération serait rédigée. L’audience s’est terminée à 16 h 08.
Les employés partis ?

S’il avait comparu dans le box des accusés au palais de justice de Montréal, Nicous D’Andre Spring aurait pu être libéré de cet endroit, après avoir pris connaissance des conditions contenues dans l’ordonnance de libération et l’avoir signée au greffe.

Mais lors d’une comparution par visioconférence à partir d’une prison, une fois l’audience terminée, un greffier rédige l’ordonnance de libération et celle-ci est ensuite envoyée par courriel à l’établissement carcéral par un agent de bureau du greffe du palais de justice.

Or, selon nos informations, le 23 décembre étant le vendredi précédant Noël, des employés de l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux) affectés aux libérations et aux visiocomparutions auraient été en congé ce jour-là, et pas nécessairement remplacés. Des sources évoquent aussi un manque de personnel ou des changements dans les façons de faire depuis l’utilisation des visiocomparutions.

Le 23 décembre était un jour férié pour des employés du gouvernement du Québec.

L’audience ayant eu lieu en fin d’après-midi, l’ordonnance a été envoyée assez tard dans la journée. Nous avons tenté de connaître l’heure exacte, en vain.

Au palais de justice de Montréal, l’information qui circule, mais qui n’a pas été confirmée, c’est que le courriel contenant l’ordonnance de libération n’aurait pas été ouvert à Bordeaux le vendredi 23 décembre, ce qui expliquerait pourquoi Nicous d’Andre Spring était toujours détenu le 24 décembre à 11 h 45, heure à laquelle les évènements sont survenus.

La libération d’un détenu a des répercussions importantes dans une prison, notamment la libération d’une cellule, et provoque normalement un suivi rigoureux.

Des sources ont affirmé à La Presse que Nicous D’Andre Spring aurait dit à des agents correctionnels le soir du 23 décembre qu’il devait être libéré.

Le 24 décembre, deux autres personnes incarcérées étaient également détenues illégalement à Bordeaux et ont été libérées en ce jour de la veille de Noël.

La Presse a demandé au ministère de la Sécurité publique (MSP) à quel moment les autorités avaient réalisé que ces deux individus étaient également en détention illégale et à quelle heure ils ont été libérés le 24 décembre, mais le MSP n’a pas voulu répondre à nos questions.

« Plusieurs enquêtes sont en cours afin d’élucider les causes et les circonstances entourant le décès de la personne incarcérée, notamment une enquête de la Sûreté du Québec ainsi qu’une enquête publique du coroner. Le ministère a également mandaté sa Direction de l’audit interne, des enquêtes et de l’inspection de mener une enquête administrative sur les évènements, en incluant notamment le volet de la détention illégale de M. Spring et de deux autres personnes incarcérées du 23 au 24 décembre. Vous comprendrez que pour l’instant, le MSP n’émettra aucun autre commentaire et qu’il en sera de même pour toute question en lien avec les enquêtes en cours », nous a répondu une porte-parole du Ministère.

À l’issue de l’ensemble de ces enquêtes, le MSP analysera les conclusions et les recommandations reçues, et mettra en place les mesures correctives appropriées le cas échéant.

Une porte-parole du ministère de la Sécurité publique

Selon nos informations, une vingtaine d’employés, d’agents et de superviseurs de Bordeaux ont rédigé des rapports pour les besoins des différentes enquêtes sur cette affaire. Un agent correctionnel et un superviseur ont été suspendus le temps que les enquêtes soient effectuées.

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