La SQ aurait entravé l'enquête sur le financement du PLQ

La fameuse enquête Mâchurer sur des allégations de financement illégal au Parti libéral du Québec, qui dure depuis 7 ans, aurait-elle était entravée par la Sûreté du Québec (SQ) et son directeur Martin Prud'homme ? C'est ce qu'aurait déclaré l'une des procureures de la couronne les plus respectées au Québec, selon deux policiers de la SQ.

Les deux policiers qui font cette allégation explosive sont André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine, qui ont travaillé à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et qui sont aujourd'hui sur la touche car ils sont visés par une enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

Soupçonnés d'abus de confiance et d'entrave à la justice en lien avec une enquête de l'UPAC qui a mené à l'arrestation du député Guy Ouellette en octobre 2017, Boulanger et Grenier-Lafontaine ont expédié au BEI en septembre 2019 une déclaration de 192 pages pour donner leur version des faits.

Non seulement assurent-ils n'avoir rien à se reprocher, mais ils allèguent aussi des événements qui, s'ils sont avérés, auraient l'effet d'une bombe sur les institutions les plus importantes du système judiciaire et policier québécois.

La publication presque intégrale de cette déclaration est permise à partir d'aujourd'hui suite à une décision du juge François Dadour de la Cour supérieure.

Dans ce long exposé, Caroline Grenier-Lafontaine relate une rencontre qu'elle aurait eu le 5 septembre 2017 avec Me Betty Laurent, procureure-chef adjointe au Bureau de la grande criminalité du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Selon Grenier Lafontaine, Me Laurent lui aurait déclaré «qu'à titre de mandataire pour l'écoute électronique effectuée à l'automne 2016 dans le projet Mâchurer (financement du Parti Libéral du Québec), la SQ l'avait à de maintes reprises entravée dans diverses situations».

Il faut savoir que l'UPAC ne dispose pas de ressources internes pour faire de l'écoute électronique et que chaque fois qu'elle veut placer un suspect sous écoute, elle doit avoir recours aux services de la SQ.

« [Me Betty Laurent] en tenait clairement Martin Prud'homme responsable pour cela [l'entrave alléguée]. Elle avait également dit que durant cette période, elle avait constaté de nombreux échanges entre Martin Prud'homme et Guy Ouellette », poursuit la déclaration.

Autant Caroline Grenier-Lafontaine que André Boulanger semblent surpris de ces prétendues allégations de Me Laurent.

«L'écoute électronique dans ce dossier avait eue lieu. Si Martin Prud'homme l'avait bloquée, il aurait fait cela comment?», se demande Mme Grenier-Lafontaine.

«N'aurait-il pas été primordial que la haute direction de l'UPAC soit avisée de ces entraves? Aussi, n'aurait-il pas été opportun de demander le déclenchement d'une enquête sur le sujet au Ministère de la sécurité publique?», questionne pour sa part M. Boulanger dans la déclaration.

L'enquête criminelle Mâchurer, rappelons-le, est le plus ambitieux projet de l'histoire de l'UPAC. Elle a débuté en 2014 et nécessité la rencontre de plus 300 témoins, avait affirmé l'ex-patron de l'UPAC Robert Lafrenière.

L'ex-premier ministre Jean Charest avait notamment été fiché et ses déplacement avaient été surveillés.

Son ami et ex-grand argentier libéral Marc Bibeau intéressait aussi vivement les enquêteurs, notamment pour le rôle d'entremetteur qu'il aurait joué entre l'appareil politique et les patrons de grandes entreprises qui contribuaient au financement du PLQ. Les deux hommes ont toujours plaidé n'avoir commis aucun geste de financement politique illégal.

M. Charest a même publiquement discrédité l'UPAC en janvier 2020, lors d'une entrevue à Radio-Canada. Il a parlé de cette enquête comme d'une «partie de pêche» et réclamé qu'elle soit fermée.

La dernière fois qu'on a eu des nouvelles de Mâchurer, c'était en novembre 2019, quand l'actuel patron de l'UPAC Frédérick Gaudreau a affirmé qu'elle était encore active, sans donner plus de détails.

Des sources dont nous devons protéger l'identité affirment que Me Betty Laurent, d'une rigueur sans failles, n'aurait jamais toléré une forme d'entrave dans cette vaste enquête.

Hier, le DPCP a déclaré que «Me Laurent a fourni sa version aux enquêteurs du BEI, laquelle réfute, précise ou remet ces allégations dans leur contexte».

L'organisation maintient sa «pleine confiance» envers sa procure-chef adjointe. Elle ajoute « qu'il s'agit d'allégations non assermentées qui n'ont jamais fait l'objet d'un débat judiciaire et, ce faisant, représentent simplement les prétentions de monsieur Boulanger et de madame Grenier-Lafontaine.»

Joint par notre Bureau d'enquête, Martin Prud'homme n'a pas voulu émettre de commentaire en raison des procédures qu'il a intentées contre le gouvernement du Québec.

Jean-Louis Fortin et Félix Séguin | Bureau d'enquête

Moins de deux jours avant de saisir le téléphone cellulaire du député Guy Ouellette, l'UPAC avait reçu une sérieuse mise en garde de la Couronne à ce sujet.

En octobre 2017, M. Ouellette était considéré comme un suspect dans l'enquête «Projet A» de l'UPAC, qui visait à identifier d'où venaient les fuites d'information reliées à certains projets de l'UPAC dans les médias.

L'équipe dirigée par André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine avait élaboré une stratégie qui serait déployée le 25 octobre pour appâter le député de Chomedey dans le but de démontrer avec qui il communiquait au sein de l'UPAC. La saisie du téléphone de Ouellet était également envisagée.

Mais le 23 octobre, la procureure de la Couronne Betty Laurent a indiqué par courriel à l'UPAC qu'elle ne voyait pas d'un bon oeil la demande d'un mandat général pour saisir le cellulaire, selon la déclaration de André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine

«Nous avons (...) pu constater que la trame factuel de l'affidavit (...) est incomplète», écrit-elle notamment.

«Nous estimons qu'un juge ne serait pas convaincu que la saisie d'un téléphone cellulaire de fonction d'un député, dont le contenu est susceptible d'être couvert par un privilège parlementaire, avec un mandat général, servirait au mieux l'administration de la justice», ajoute la procureure chevronnée.

De quoi contrecarrer sérieusement les plans de l'équipe du Projet A.

«Vous comprendrez notre stupéfaction d'apprendre le le soir du 23 octobre 2017, soit à moins de 36 heures avant le déclenchement de l'opération, que les autorisations visant le cellulaire de Guy Ouellette n'étaient pas approuvées par le DPCP», écrivent Boulanger et Grenier-Lafontaine dans les 192 pages qu'ils ont fait parvenir au BEI pour présenter leur version des faits.

«L'apprendre à ce moment nous avait carrément paralysés, sans possibilité de solution de rechange à si court terme», indiquent-ils aussi.

Le 25 octobre, l'UPAC a bel et bien saisi le cellulaire de Guy Ouellette, mais elle l'a également arrêté. L'arrestation, assurent Boulanger et Grenier-Lafontaine, n'était pas prévue au plan d'enquête.

André Boulanger affirme qu'à titre de gestionnaire de haut niveau, il devait prendre des «décisions difficiles».

«Il ne faut cependant pas confondre une complexe décision de gestion avec des infractions criminelles d'abus de confiance et d'entrave à la justice», affirme-t-il cependant, en référence aux soupçons dont il fait l'objet dans le cadre de l'enquête Serment du BEI.

Guy Ouellette

Cet ex-enquêteur de la Sureté du Québec spécialisé dans le crime organisé est député de Chomedey, à Laval, depuis 2007. Son arrestation controversée, en octobre 2017, avait poussé le président de l'Assemblée nationale de l'époque, Jacques Chagnon, à lancer le désormais célèbre «qu'on accuse ou qu'on s'excuse».

Ouellette n'a finalement jamais été accusé suite à son arrestation fort médiatisée. Les mandats de perquisitions obtenus contre lui ont été invalidés, et il a même obtenu des excuses publiques de la part de l'UPAC, en juin dernier.

À cette occasion, l'actuel patron de l'UPAC Frédérick Gaudreau a affirmé que l'enquête avait été «fautive à certains égards» et que l'arrestation du député était «injustifiée».

Betty Laurent

Cette avocate est procureure en chef adjointe au Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Elle a été impliquée au fil des années dans plusieurs dossiers d'envergure, dont le projet Préméditer sur les meurtre des lieutenants de la mafia Rocco Sollecito et Lorenzo Giordano, ainsi que l'enquête Mâchurer sur le financement au PLQ.

Martin Prud'homme

Ce policier et gestionnaire de carrière est directeur général de la Sûreté du Québec depuis 2014. Auparavant, il avait été sous-ministre au ministère de la Sécurité publique pendant cinq ans.

Il est suspendu avec son plein salaire d'environ 220 000 $ par année depuis mars 2019, et fait en ce moment l'objet d'une enquête administrative pour un coup de fil jugé intimidant qu'il aurait passé à l'ex-directrice du DPCP Annick Murphy le 24 octobre 2017.

En novembre dernier, il a déposé une requête en Cour supérieure dans laquelle il accuse le gouvernement Legault d'avoir mis sur pied «illégalement» une enquête pour déterminer s'il doit être congédié.

Robert Lafrenière

Il a été le grand patron de l'UPAC jusqu'à son départ surprise annoncé le jour de l'élection générale du 1er octobre 2018.

C'est lui qui avait lancé le projet A, en 2017, pour trouver «le bandit» qui aurait coulé aux médias des informations sur les enquêtes de l'UPAC.

Son rôle intéresse beaucoup les enquêteurs du projet «Serment» du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui se penche notamment sur la conduite du Projet A.

André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine

Ces policiers sont présentement en congé de maladie après avoir été relégués à des tâches administratives.

Le BEI les soupçonne, dans le cadre de son enquête Serment, d'abus de confiance et d'entrave à la justice en lien avec le rôle qu'ils auraient joué dans le Projet A de l'UPAC.

Ils n'ont à ce jour été accusés de rien et contestent vigoureusement les allégations à leur endroit. Un juge a d'ailleurs estimé en mars dernier que la saisie du cellulaire de M. Boulanger, dans le cadre de l'enquête Serment, avait été abusive.

Via plusieurs procédures judiciaires, ils réclament notamment 100 000 $ à Guy Ouellette, 9,2 M$ aux médias de Québecor et Cogeco, et le transfert au DPCP de l'enquête Serment qui les vise.

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