Une murale à mémoire sélective

L’arrondissement de Montréal-Nord aurait-il la mémoire sélective ? Une murale destinée à célébrer ses 100 ans fait abstraction, du moins dans le premier jet, du cas Fredy Villanueva, mort sous les balles d’un policier. Des groupes de citoyens estiment que cette omission est inacceptable, d’autant plus que l’oeuvre se trouvera sur un des murs de la Maison culturelle et communautaire de Montréal, tout près du lieu du drame survenu en août 2008.

« Je l’ai dit à maintes reprises : je crois que la collectivité nord-montréalaise a tourné la page sur cet événement », affirme Gilles Deguire, le maire de l’arrondissement. Selon le calendrier initial, la murale aurait dû déjà être visible, mais sa réalisation a été suspendue. Dans la controverse, l’arrondissement a décidé de rencontrer les citoyens avant de poursuivre le projet.

Nargess Mustapha, porte-parole de Montréal-Nord Républik (M-NR), un collectif né des émeutes ayant suivi la mort de Villanueva, accuse l’arrondissement de manquer une occasion d’entamer « le processus de guérison ».

« La mort de [Fredy Villanueva], tout comme ce qui a suivi, a touché de près la communauté de Montréal-Nord, signale la militante. Elle a soulevé la problématique de la violence, du profilage racial, des inégalités socio-économiques. Cette oeuvre doit faire partie du processus de guérison. Mais certains veulent effacer ça de notre mémoire collective. »

Gilles Deguire est lapidaire : « [Parler de ce sujet] n’apporte pas une valeur ajoutée au bien-être de la collectivité. »

La murale, pilotée par l’organisme MU, est un des projets retenus par l’arrondissement dans le cadre de son centenaire. Elle se décline en cinq tableaux, réalisés par les artistes Anik Favreau, Annie Hamel, Sophie Wilkins et Kevin Ledo. Issus de la mouvance du street art, ceux-ci ont été sélectionnés sur appel de dossiers, par un jury formé en partie d’élus de l’arrondissement. Leur choix a été entériné par le Bureau d’art public de la Ville de Montréal, qui finance le projet à raison de 50 000 $ (sur un budget de 75 000 $).

Une pétition citoyenne circule depuis le début août et demande à l’arrondissement de tenir « des réflexions adéquates » au sujet de ce projet commémoratif. « Nous souhaitons, y lit-on, que la murale serve aussi à démontrer que Montréal-Nord n’est pas amnésique face aux causes qui ont mené au décès de ce jeune qui, comme plusieurs, souhaitent [sic] vivre dans un monde qui reconnaît la différence comme une richesse et non comme une menace. »

« Les gens ne reconnaissent pas l’ampleur de cette murale. C’est un legs », commente le maire de l’arrondissement, en réaction à la controverse soulevée autour du 8e anniversaire de la mort de Villanueva. « C’est certain qu’en cinq tableaux pour parler de cent ans, on ne peut pas tout mettre », poursuit l’élu.

«Changer l’image» de Montréal-Nord

Ce n’est pas la première fois que des citoyens demandent que la mémoire de cette autre « victime de brutalité policière » soit l’objet d’une oeuvre. Selon Nargess Mustapha, M-NR a inclus ce point dans ses revendications, « dès les semaines qui ont suivi le 9 août 2008 ». Deux fois l’an, aux dates de naissance et de décès de Fredy Villanueva, une vigile pacifique prend place sur les lieux de la tragédie.

« J’ai peine à concevoir, estime Alexandre Popovic, de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), qu’une murale sur l’histoire de Montréal-Nord ne parle pas d’un événement qui est passé à l’histoire, qui a trouvé écho aux quatre coins de la planète. »

Pour Gilles Deguire, évoquer cette tragédie n’est pas approprié. « L’ensemble de la collectivité qui veut changer l’image de Montréal-Nord, qui veut avoir le sentiment de fierté et d’appartenance à une collectivité ne voit pas du tout comment on pourrait nommer un parc ou avoir dans un des cinq tableaux une signification particulière pour le jeune Villanueva », estime-t-il.

Le maire, membre de l’équipe Denis Coderre pour Montréal, reconnaît que la murale sera bonifiée après plusieurs consultations, qui débutent mardi, avec des groupes de citoyens. Vendredi, les défenseurs de la mémoire de Fredy Villanueva, dont M-NR et la CRAP, auront même droit à un entretien exclusif avec lui.

« Je ne sais pas ce qu’ils veulent. On est en mode ouverture, mais s’ils nous font des demandes très particulières, on aura probablement des réserves », dit-il.

Nargess Mustapha demeure pessimiste quant aux chances d’obtenir gain de cause. Les gestes répétés, y compris la rapidité à laquelle l’arrondissement a effacé au début du mois un graffiti où on lisait « Fredy RIP », lui laissent croire que les intentions de l’administration sont déjà arrêtées.

Selon Gilles Deguire, s’il y a un personnage à inclure, c’est « Monsieur [Yves] Ryan, le maire de Montréal-Nord pendant 38 ans ». Il estime qu’en raison de l’ensemble de son oeuvre, il mériterait d’être présent dans ces tableaux qui, pour le moment, évoquent la traverse L’Archevêque, la maison Brignon-dit-Lapierre et Oliver Jones, citoyen d’honneur de l’arrondissement. Parmi d’autres thèmes moins explicites figure celui du « vivre ensemble ».

« Cette murale parle d’où on vient, où on va et j’ose espérer qu’elle sera remplie d’espoir », soutient le maire.

Rappelons que Montréal-Nord procédera en septembre à l’inauguration d’une oeuvre monumentale, La vélocité des lieux, du collectif BGL. Cette sculpture, qui prendra la forme d’une grande roue, ne découle pas des célébrations du centenaire, mais d’une initiative du Bureau d’art public.

« Voilà une valeur ajoutée pour avoir une entrée de qualité pour l’arrondissement », conclut Gilles Deguire.

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