Profilage racial: la lutte est inachevée

Gaétan Cousineau au Devoir - Profilage racial: la lutte est inachevée
Le président sortant de la Commission des droits de la personne estime que Québec n’en fait toujours pas assez
6 juillet 2013 | Brian Myles | Justice

Le président sortant de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), Gaétan Cousineau, part avec le sentiment du devoir inachevé. Québec n’en fait pas assez en matière de lutte contre le profilage racial.

Dans une entrevue exclusive, M. Cousineau déplore l’attentisme du gouvernement. Tel un rêveur qui lance une bouteille à la mer, il espère que l’État accordera à la lutte contre le profilage racial la même importance qu’à la lutte contre l’homophobie il n’y a pas si longtemps, en se dotant d’une stratégie nationale.

Depuis la publication de son rapport sur le profilage racial, en 2011, la Commission n’a pas obtenu l’écoute espérée auprès du gouvernement. Une table interministérielle, formée de six ministères (Justice, Sécurité publique, Immigration, Éducation, Santé et Services sociaux et Emploi et Solidarité) s’est réunie environ cinq fois. « Il n’y a rien de “ concerté ”, explique M. Cousineau au Devoir. Je pourrai dire que le gouvernement prend la chose au sérieux le jour où il réalisera l’importance d’avoir une stratégie concertée. »

Sans un véritable leadership, la lutte sera inachevée. Les efforts des bons joueurs, comme la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), qui prend le problème au sérieux selon M. Cousineau, seront annulés par l’inaction des mauvais joueurs.

M. Cousineau se montre critique du milieu de l’éducation, montré du doigt dans le rapport de 2011 pour sa propension à stigmatiser les élèves issus des minorités. « On sait que le ministère s’en préoccupe, mais l’éducation, c’est tellement décentralisé. C’est un grand défi. Les commissions scolaires ont déjà plein de problématiques, et nous, on en ramène une autre », dit-il.

En 2012-2013, la Commission a ouvert, toutes institutions confondues, 70 dossiers de profilage racial, en hausse de 52 % par rapport à l’exercice précédent. Environ le tiers de toutes les plaintes de discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique portent maintenant sur des histoires de profilage racial.

Dans l’esprit de Gaétan Cousineau, la lutte contre le profilage est une responsabilité sociétale. Il en va de l’avenir des jeunes issus des minorités. « Ce n’est pas juste l’affaire du lien entre la police et le jeune dans l’espace public. C’est toute la question de la discrimination raciale qui fait que tu n’as pas les mêmes droits que les autres et tu n’as pas les mêmes espoirs. Le jeune peut être découragé et se sentir étranger même s’il est Québécois », insiste M. Cousineau.

Mandat élargi

M. Cousineau est fier de son bilan à la barre de la Commission. Lors de sa nomination, en septembre 2007, l’organisme était montré du doigt pour les délais inacceptables dans le traitement des plaintes. « Il y avait une perte de confiance. Si tu faisais une plainte, c’était long », dit-il.

Fort de son expérience passée à la vice-présidence de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), il s’est attelé à la tâche de réduire ces délais. Ils sont passés de 626 jours en 2006-2007 à 383 en 2010-2011. Dans le prochain rapport annuel, le délai sera ramené à 324 jours. À ce chapitre, il salue le travail de son équipe, refusant de prendre seul le mérite de ce coup de barre.

Durant son mandat, la Commission s’est bataillé ferme avec le contentieux de la Ville de Montréal. L’un de ses avocats, Pierre-Yves Boisvert, niait systématiquement les allégations de profilage racial de la part des policiers.

La nomination de Marc Parent à la tête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), à qui l’ex-maire Gérald Tremblay avait confié la mission prioritaire de régler les problèmes de profilage, a contribué à assainir les rapports entre les enquêteurs de la Commission et les policiers. « On a brisé les plus grands obstacles. De nier toute situation de profilage, de façon catégorique et systémique, ça n’existe plus », reconnaît M. Cousineau.

Ce changement de culture est lent, et la Commission rencontre encore de la résistance à l’occasion. « Il y a des moments où c’est plus difficile d’avoir accès à des policiers. Si on néglige d’avoir des contrats réguliers avec le chef de police, ça se [referme], explique-t-il. S’ils sentent que je ne mets pas de pression, ils vont devenir “ relax”. »

M. Cousineau salue les efforts du SPVM pour revoir son intervention auprès des groupes minoritaires. Un an après la publication de son rapport sur le profilage racial, datant de 2011, la Commission a fait une tournée des groupes impliqués auprès des minorités racisées. « Il y avait un optimisme qui n’existait pas parce qu’avant, il y avait une grande perte de confiance par rapport à la justice. Par contre, sur le terrain, ce n’est pas clair que [les comportements] ont changé. »

D’autres défis

M. Cousineau laisse à son successeur, le vice-recteur de l’Université de Montréal Jacques Frémont, une commission « en bonne forme, avec des problèmes de sous et bien des dossiers ».

Mesures d’austérité obligent, la Commission a ramené son personnel à 145 employés. Selon M. Cousineau, il en faudrait de 10 à 15 de plus pour affronter de nouvelles responsabilités, telles que la défense des droits des personnes vulnérables. En un an, les plaintes pour des sévices aux personnes âgées sont passées de rien du tout à 116, entre autres grâce aux campagnes de sensibilisation du gouvernement. Les aides domestiques et les travailleurs agricoles évoluent dans des espaces sans droits, et ils méritent eux aussi la protection de la Charte. Il y a tant à faire que le président sortant part à reculons. Après un demi-siècle de vie active, il se donne le « droit » à la retraite.

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