Fredonner un air de bœuf

Les policiers devraient offrir une « matraque d’or » au membre de l’élite ayant le mieux facilité le travail des forces de l’ordre …

Il serait cependant difficile de choisir le grand gagnant. Aucun chroniqueur ne s’interroge à propos des arrestations de masse et de la présence démesurée de centaines de policiers lors des rassemblements publics; aucun éditorialiste ne critique la Loi P-6 et les mensonges éhontés des porte-paroles du SPVM; les activistes de gauche sont épiés par les services secrets et traités comme des terroristes par les juges; les cours rendent des décisions qui favorisent systématiquement la limitation du droit de manifester et les budgets de répression augmentent tout autant que les mesures d’austérité … Sans oublier, selon les bons mots objectifs et neutres des journalistes rigoureux, que les forces de l’ordre se montrent « tolérantes » jusqu’à ce qu’elles soient « obligées d’intervenir » ou d’ « interpeller » pour « prévenir des débordements » ou des gestes de « vandalisme ».

On connait la chanson, c’est un air connu : le Québec en entier le fredonne à l’unisson. Il est d’ailleurs inutile d’avoir la juste note, c’est un air qui se chante dans le silence absolu. Cette mélodie a toutefois un envers. Car l’indifférence généralisée dans laquelle a lieu la plus grande vague d’arrestations politiques de l’histoire du Québec camoufle fort mal sa violence brute et épaisse et son caractère profondément lâche.

Les policiers ‒ comme tout le monde ‒ écoutent trop la télé. Cela leur donne l’impression de travailler pour la « liberté », la « démocratie », le « monde ordinaire », contre la menace « anarchiste », les « fauteurs de trouble » et les « crottés » de tous les horizons. Ils y trouvent largement de quoi justifier leurs comportements violents.

Témoignages

Kim, une militante dénonçant ‒ justement et comme par hasard ‒ les abus policiers, raconte comment s’est passée son arrestation du 1er mai dernier. Après avoir été littéralement kidnappé en pleine rue, les agents du SPVM l’ont amené à l’abri des regards. Plusieurs vidéos témoignent de la brutalité inutile de son arrestation. Les policiers ont même formé un cordon autour d’elle afin que personne ne voie ce qui s’y passait

« Un policier m’a alors dit »Tu sais Kim ça fait tellement longtemps qu’on veut te pogner qu’asteure tu vas passer au cash ». Le policier m’a alors dit que j’étais en état d’arrestation pour récidive à P-6. Un des policiers me tenait le pouce droit et on dirait qu’il essayait de le casser, il me tordait le pouce vers l’arrière. Je n’ai plus aucune sensation dans mon pouce, il est complètement engourdi et me fait très mal. J’ai demandé à plusieurs reprises de me lâcher le pouce, mais il ne le faisait pas. Ils m’ont menotté avec des ties wrap à me couper la circulation ».

Kim n’en est effectivement pas à sa première arrestation en vertu de P-6. Les policiers, manifestement, la connaissent assez bien

« Ils ont alors commencé à me donner des coups de poing sur mes mains qui étaient rendues mauves. Certains se sont mis aussi à me donner des coups sur les épaules. L’un d’eux m’a alors demandé si j’avais un chum. J’ai répondu non. Il m’a alors demandé si j’avais une blonde parce qu’il disait que j’avais une tête de lesbienne. Je n’ai pas répondu. Ils se sont mis à me parler d’endroits où j’allais dans le passé où ils venaient me profiler. »

Les policiers ont profité de leur connaissance des épreuves personnelles vécues par Kim afin de mieux la rabaisser. Tout en continuant à la frapper, ils s’amusaient à rire de ses problèmes et de son physique.

Plus tard en soirée, alors qu’elle prenait un verre avec ses amis, elle a perdu connaissance. C’était une entorse cervicale : elle a dû être hospitalisée pendant 24 heures. En sortant de l’hôpital, Kim a pu constater que son arrestation n’avait été enregistrée nulle part… Comme par magie, elle a disparu des archives policières. Elle s’en souviendra toutefois sans doute longtemps. Elle n’a d’ailleurs pas l’intention de se comporter en victime. Nombre des manœuvres policières ont été vues et entendues par de nombreux témoins. Elle portera plainte…

Le cas d’André, un autre militant arrêté en marge du 1er mai, est tout aussi reluisant d’intelligence et de courage. Son arrestation, comme il le dit lui-même, a été « surréaliste ». Deux policiers à vélo se sont approchés de lui, l’un d’eux a dit « C’est lui le tabarnak, il faut le pogner! ». Littéralement, ils lui ont « sauté dessus ». Mais le pire était encore à venir

« Les policiers riaient de moi et m’insultaient de plus en plus, ils ont fouillé dans mon portefeuille pour connaître mon identité. Je suis autiste sans déficience intellectuelle, j’ai des contraintes sévères à l’emploi alors je suis sur la Solidarité sociale. Lorsque les policiers sont tombés sur un document qui l’attestait, j’ai eu droit à une belle démonstration d’humanité… « C’est un câlice de BS en plus, quel esti de loser, c’est un malade mental! », une panoplie d’insultes. »

Rendu dans l’est de Montréal, après les quelques questions de l’enquêteur, un policier en civil a décidé d’en ajouter une couche

« Le vieux policier en civil ne perd pas trop son temps, il me dit clairement que si je continue à militer, je ne finirai pas au poste de police ni à l’hôpital. Il me spécifie qu’il sait où je vis et qu’il peut très bien « s’occuper de moi ». Il m’explique qu’il a trente ans de carrière et qu’il a l’habitude de ce genre de choses. Il me dit que mon arrestation n’est pas le fruit du hasard et qu’ils me cherchaient depuis un certain temps. Évidemment, il m’explique tout ça en m’insultant. »

La police a déjà arrêté des manifestants par milliers, crevé des yeux, provoqué des commotions cérébrales, cassé des membres, traumatisé des jeunes hommes comme André et des jeunes femmes comme Kim pour le restant de leurs jours.

Et tout cela est effectué pour protéger la démocratie. En silence. En toute impunité. Et avec tout le courage que ça demande.

L’élite québécoise a de quoi être fière.

Après tout, il y a un peu d’elle dans tout ça…

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