Ces Haïtiens qui gravissent des échelons au SPVM

Comme ses collègues Vilcéus et Célestin, Jean est arrivé très jeune (8 ans) au Québec. Tous les trois sont conscients du fait qu’ils seront toujours considérés comme des Québécois venus d’ailleurs.

Ils s’appellent Jean, Célestin ou Vilcéus, des patronymes qui font se retourner tout haïtien circulant à Montréal, car ils figurent parmi les plus connus utilisés en Haïti. Ils sont arrivés enfants au Québec et ont grandi dans le Montréal de tous les préjugés des années 70 et 80.

Ils ont tous au moins vingt ans de service au sein de la police de cette ville dans laquelle il y a quelques années encore deux noirs sur trois se faisaient interpeller pour appartenance présumée à un gang de rues. Pourtant, aujourd’hui, Patrice Vilcéus est commandant de la plus importante escouade de lutte contre le crime à Montréal, Mustaki Jean dirige un des quatre principaux commandements de la ville et Jean-Ernest Célestin est inspecteur chef au SPVM.

Arrivé à Montréal en 1974, Célestin sourit quand on évoque cette période. Issu d’une famille de neuf enfants, il avait six ans quand ses parents ont décidé de quitter sa Croix des Bouquets natale. «Nous habitions le Plateau Mont-Royal… l’ancien Plateau Mont-Royal car la réalité n’est plus la même» insiste-t-il, lors d’une entrevue avec nous sur CPAM.

A l’époque les logements étaient très accessibles car les gens aisés fuyaient le Plateau pour aller s’installer plus vers le Nord, dans les quartiers de Rosemont et Ahuntsic. Le jeune grand-père de 47 ans, qui a eu son premier enfant à 20 ans, est content de voir l’évolution de la société québécoise et surtout l’ouverture envers les Néo-Québécois.

Le hasard a voulu que Jean Ernest Célestin arrive également au Québec en 1974, l’année même où Edouard Anglade passait à l’histoire en devenant le premier noir à rejoindre les rangs de la police de Montréal. Les trois cadres interrogés reconnaissent tous devoir une fière chandelle à Anglade. «Il a pavé la voie pour nous rendre la vie plus facile.

Il a gagné le premier procès pour harcèlement racial au Canada. Cela a drôlement changé les attitudes» reconnaît l’un d’entre eux. Ceci dit, malgré les changements, ce n’est que près de trente ans plus tard que Célestin finira par devenir le premier commandant noir d’un poste de quartier.

Malgré le fait qu’ils soient des fils d’immigrants bien intégrés, quand je leur dis que vu l’âge qu’ils avaient en venant ici, ils étaient en fait des Québécois, ils me répondent unanimement des «Haïtiens Québécois». «Ayisyen m ye frè m» me dira l’inspecteur chef Célestin dans un large sourire, flattant d’une caresse les cheveux de sa plus jeune fille pour l’encourager à répondre en créole au petit test que je lui faisais sur le griot, le plantain et le riz collé.

M. Célestin a d’ailleurs fait bénéficier son pays d’origine de l’expertise qu’il a obtenue en terre d’accueil en créant, après le tremblement de terre qui ravagea ce pays, la patrouille à vélo, dans le cadre d’un programme de police communautaire.

Le commandant noir de l’escouade accusée de profilage

En serrant la main à ce policier noir, certes tiré à quatre épingles dans son uniforme de commandant, mais les cheveux twistés, j’ai hésité un moment avant d’aborder avec lui la question du profilage racial. Car il était la preuve que ce moment était derrière nous.

Mais malheureusement, les enquêtes et statistiques continuent de prouver que le profilage et la discrimination systémique sont bel et bien présents dans le quotidien des communautés ethniques de Montréal.

Durant les dix dernières années, de nombreuses instances de défense des droits de l’homme n’ont pas cessé de critiquer l’attitude des policiers de Montréal face aux membres des communautés culturelles.

Les agents du SPVM modulaient le degré ou l’intensité du danger, selon que vous soyez blancs, latinos, autochtones ou noirs, affirmait un ancien responsable du Bureau des droits de la personne. C’est d’ailleurs un rapport d’étude, réalisé par un criminologue du SPVM dans la foulée des émeutes ayant enflammés Montréal Nord en 2008, qui tirait la sonnette d’alarme sur l’augmentation vertigineuse des contrôles d’identité des noirs dans la métropole montréalaise.

Entre 2001 et 2007, les contrôles avaient augmenté de 125 % à Montréal Nord et de 91 % dans le quartier de St. Michel, affirmait le rapport.

Patrice Vilcéus réfléchit deux secondes en réajustant ses lunettes, puis se lance dans une tentative de réponse qui traduit sa position délicate de commandant d’une escouade souvent accusée de profilage. Il reconnaît d’entrée de jeu que le profilage est une réalité. «Vous dire que le profilage n’existe plus serait tenter de cacher une réalité.

Comme partout au Canada et en Amérique du Nord, c’est un problème qui resurgit constamment, mais je peux vous garantir que toutes les mesures sont prises pour y mettre fin» dit-il. Il rappelle que le SPVM a adopté, en 2004, une politique contre le profilage racial et illicite reflétant sa position d’intolérance face à cette pratique. «Pour notre organisation, le personnel policier et civil doit faire preuve de professionnalisme, de sens éthique et d’une attitude empreinte de courtoisie, de tact, de sensibilité et de respect envers la différence, et ce, en tout temps» a-t-il insisté.

Depuis septembre 2015, Patrice Vilcéus est devenu le grand patron de l’Escouade Eclipse du Service de Police de la Ville de Montréal. Un groupe entièrement voué à la lutte contre les phénomènes de criminalité et de violence sur toute l’étendue de la Métropole.

Âgé aujourd’hui d’une quarantaine d’années, Patrice Vilcéus est arrivé de sa ville natale des Gonaïves à l’âge de trois ans. Il a grandi à Rivière-des-Prairies, dans l’est de Montréal, a fait son cycle de Cegep au Collège de Bois de Boulogne et dispose aujourd’hui d’une maitrise de l’Ecole Nationale d’Administration Publique (ENAP). Cela fait vingt ans qu’il a intégré le Service de police de la ville de Montréal.

M. Vilcéus arrive à la tête de l’Éclipse à un moment où plusieurs groupes questionnent sa pertinence, vu que la grande criminalité a considérablement baissé à Montréal. «Il faut comprendre que l’Eclipse a beaucoup contribué aux résultats constatés aujourd’hui en matière de sécurisation des rues de Montréal» répond le commandant de l’escouade qui met en garde contre une banalisation de la réalité de la criminalité, malgré tout assez importante à Montréal.

Si la métropole québécoise est de loin plus sécuritaire que d’autres grandes villes nord-américaines et européennes, Patrice Vilcéus insiste sur le fait que le travail doit se poursuivre, car une victoire sur les milieux interlopes n’est jamais complète. «Chaque fois qu’un groupe criminalisé est démantelé, plusieurs autres vont tenter de prendre sa place. Les groupes criminels sont toujours en activité même quand on a l’impression d’une accalmie dans le nombre d’actes enregistrés» dit-il.

Dans le secret de la lutte contre les groupes criminels

Malgré cette baisse de régime constatée dans les activités des gangs de rue, le responsable du Centre d’enquête Sud de Montréal partage l’avis de prudence de son collègue de l’Escouade Eclipse. «Comme la police, les groupes criminels changent également de stratégie. Si on ne reste pas vigilants, on se rendra compte de la situation quand ils auront déjà repris le contrôle de nos rues» dit Mustaki Jean qui a travaillé plus de dix ans au Service des crimes organisés du SPVM.

Il a été depuis dix ans au cœur des principales opérations d’infiltration des groupes criminalisés à Montréal, mais le public entendra parler du Sergent-détective Mustaki Jean pour la première fois au méga-procès des membres du gang de la Rue Pelletier (Montréal Nord) au Centre judiciaire Gouin en 2007. Il est depuis le 30 août 2015 à la tête du commandement le plus sollicité de la Métropole qui couvre les zones chaudes du Centre-ville dont Crescent et le Quartier Gay, mais aussi Verdun, Ville Émard, Ile des sœurs, le Vieux Port ou encore Westmount.

Pour avoir grandi dans le quartier de La Petite Italie et côtoyé des membres de gangs de rue dans Montréal, il pense qu’on gagnerait à relativiser la question du profilage racial. «Il faut établir la différence entre le profilage racial et le profilage criminel» dit Mustaki Jean. Celui qui a passé douze ans au Service antigang, d’agent enquêteur à lieutenant-détective, estime que l’utilisation du profilage a permis de désamorcer des situations. «J’ai vécu toutes les guerres des motards, des gangs de rue et de la mafia. J’ai aussi collaboré à des opérations importantes dont…» Sharq et Colisée ai-je ajouté, mais il ne confirmera pas, préférant sourire derrière sa moustache finement coupée.

Comme ses collègues Vilcéus et Célestin, Jean est arrivé très jeune (8 ans) au Québec. Tous les trois sont conscients du fait qu’ils seront toujours considérés comme des Québécois venus d’ailleurs. Mais tous les trois sont animés de la même fierté de vouloir laisser des traces dans les services offerts aux citoyens et peut-être changer ce qui doit l’être à leur niveau respectif.

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