Avoir su, j'aurais fait flic

publié le 13 janvier 2014 par Emmanuel Cree

Avoir su, j’aurais fait flic. L’uniforme noir, le gilet pare-balle, le gel dans les cheveux, la posture torse-bombé-autoritaire-plus-mains-sur-les-hanches. Un flic, quoi. Imaginez un peu, les Tie-Wraps, le pad à tickets, la canisse de poivre, le gun pis la matraque. Sans oublier le bazou avec les gyrophares qui hurlent. Mais tout ça, c’est de la pyrotechnique, des postiches de frimeur. Dans l’absolu, la vraie cagnotte, ce sont les droits en plus-value, mais surtout, la quasi totale impunité.

Ouais, j’aurais dû faire flic. La liberté que ça vous confère, les pouvoirs coercitifs. Visualisez un peu le scénario : une « intervention » qui part en couille, je cogne un poil plus fort que d’hab et esquinte la gueule d’un bum. Des ecchymoses, une lèvre fendue, une ou deux côtes fêlées. Plus moult menaces et insultes. Un brin de zèle, qu’on rigole entre collègues.

Ou encore, disons qu’une nuit d’hiver, j’embarque un de ces déchets depuis le square Émilie-Gamelin pour le débarquer qu’une fois bien loin dans l’Est. Sauf qu’en prime, je lui pique ses bottes et son manteau, malgré le froid glacial. Initiative policière que les bouseux du coin connaissent bel et bien.

Qu’est-ce qui m’arrivera? Recevrai-je un avis disciplinaire, une suspension, une sanction exemplaire? Rêvez toujours mes délicats. Encore faudrait-il que l’individu (un marginalisé, sur le banc des accusés de par son statut) porte plainte. Mais il sait que, si par mégarde, j’apprenais qu’une crevure d’itinérant m’a collé le comité de déontologie au cul, il se mériterait une visite de courtoisie de Mézigue. Et dans mes rues, y a nulle part où se terrer.

Mais disons que le suspect (ils le sont tous de facto) persévère et ne se perd pas dans le dédale de paperasse et de procédures administratives. Qui c’est qui va enquêter sur Bibi, l’interroger, réviser le dossier? Un trucmuche citoyen indépendant? Ben voyons, d’autres poulets, pardi.

« Conflit d’intérêts, conflit d’intérêts », que j’en entends râler? Oh! Et l’intégrité policière, elle? Soit, le processus est ridiculement long et le taux d’accusation frise la conspiration, mais les p’tits gars de déontologie font pourtant leur job honnêtement. Pas de prosélytisme, juré.

Merde, j’aurais dû faire flic. Blindés comme ils sont, la liberté, pour eux, commence là où celle des autres s’arrête. Exemple, mettons qu’une manif s’organise contre je-ne-sais-quoi-de-pas-écolo. Avec les collègues en armure, on reste aux abords de la foule, vigilants. Évidemment, aucun itinéraire n’est donné et ça porte des foulards, des lunettes de ski. Ça braille des slogans anticapitalistes, ça envoie paitre les forces de l’ordre. Le ton est donné.

Mais dans tout ce pacifisme, les potes et moi, tellement qu’on s’emmerde, on décide d’intervenir. Une balle de caoutchouc par-ci, une grenade assourdissante par-là. Et en procédant à une arrestation ciblée (arbitraire), j’ai la main un chouia lourde et une de ces pisseuses en haillons se mange le bitume en plein dentier.

Comme il est coutume de nos jours, un « carré rouge » s’improvise caméraman et capte le tout. Il tente même d’obtenir mon nom, mon matricule. Gaspillage de salive. Je lui fous une giclée de Cayenne sur la lentille, question de lui inculquer le civisme.

Pendant ce temps, Radio-Canne et Kébécor filment des manifestants masqués, font des plans de coupe. Par contre, le vidéo amateur, viral sur le web, provoque tout un tollé. Ça s’indigne la Constitution canadienne bafouée, la brutalité policière, les abus, etc.

Vous croyez que ce bordel débouchera sur un débat sérieux? Le gros Lafrenière prendra plutôt le crachoir pour jouer de nuance, tandis que Parent évoquera les circonstances, les débordements, l’hostilité des militants. Au pire, si les critiques persistent, ils dénonceront mollement cet « incident isolé ». Peut-être devrai-je rencontrer un supérieur en privé pour une petite tape cérémonieuse sur les doigts (fais-toi pas pogner la prochaine fois!).

En somme, le SPVM étouffera l’affaire.

Les médias, quant à eux, épargneront la chèvre et le chou. Ils souligneront que la manifestante blessée fréquente des pas fins aux allures anarchistes, chroniqueurs condescendants à l’unisson. Rien qui ne justifie un passage à tabac, mais ça mine la crédibilité de la plaignante et influence l’opinion publique. Un détournement en bonne et due forme. Alors, les sanctions contre Bibi, dans le cul Lulu. L’impunité, si c’est pas d’la sécurité d’emploi, ça…

Avoir été flic, aurais-je été un salaud de la sorte, un despote phallocrate à tendance facho? Probable que non. Mais je n’aurais pas eu patte blanche pour autant. Déjà, j’en entends, des bonnes âmes, pour dire qu’ils ne sont pas tous des enflures, que beaucoup joignent les rangs pleins de bonnes intentions. Que dans tous les corps de métier, il y a des enfoirés, quelques perles et le reste. Vrai. Mais la différence, c’est qu’un prof ne peut vous foutre à l’amende, une mécano ne porte pas un flingue à la ceinture.

Ces « bons flics », je ne sais pas si je peux leur foutre la complicité par association, mais coupables par solidarité et fraternité, je vais me gêner, tiens. Et chez les « agents de la paix », justement, on se serre les coudes, quitte à protéger des psychopathes, à fricoter avec des gens violents, dénués d’empathie. Ces nobles chevaliers, défenseurs d’la veuve pis du chiard, pourquoi ne dénoncent-ils pas les actes, les agressions de leurs collègues? Car, ne dit-on pas que « qui se tait, consent »? C’est peut-être ça, le prix de l’impunité : le silence des autres.

(Crédit photo : Gerry Lauzon)

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