« Ils détruisent tout ce qu’on a construit » : quand la police s’en prend aux espaces sécuritaires

Les policiers de l’escouade Éclipse débarquent régulièrement Chez Smoothzi, un resto convoité par les jeunes du quartier Rivière-des-Prairies, qui manquent de lieux sécuritaires pour se rassembler. Pour la propriétaire, Sabiha Merabet, ces interventions policières témoignent du profilage racial dont ses client·es sont trop souvent victimes.

« On est un peu comme une maison de jeunes », lance Sabiha Merabet. Il y a trois ans, elle a lancé avec son jeune fils le resto Chez Smoothzi, qui a rapidement gagné en popularité chez les jeunes du quartier Rivière-des-Prairies.

Si on aime s’y rassembler, c’est d’une part parce qu’on y sert de délicieux breuvages fruités, mais aussi parce qu’on peut s’y poser jusqu’à minuit. La vraie maison de jeunes de Rivière-des-Prairies est située à quelques minutes en autobus. Lorsqu’elle ferme ses portes à 20 h, c’est souvent Chez Smoothzi qu’on se réunit.

Dans un quartier où les jeunes se sentent de moins en moins en sécurité, se retrouver entre quatre murs est devenu un besoin essentiel.

« On a de la limonade, on a des smoothies, on a des crêpes, on a des gaufres. Les jeunes viennent rechercher ce qu’ils n’ont pas peut-être chez eux, ce qu’ils n’ont pas dans la rue, ce qu’ils n’ont pas ailleurs », explique Sabiha Merabet.

Sauf que dernièrement, les choses n’ont pas été de tout repos. Depuis quelque temps, des policiers de l’escouade Éclipse débarquent fréquemment dans le stationnement le soir. Selon Sabiha Merabet, les policiers s’imposent dans le petit commerce, sans justification.

Le problème est tel que la propriétaire a sollicité l’aide de l’Équipe RDP, un organisme qui fait souvent le pont entre la communauté et les policiers.

« Les jeunes viennent rechercher ce qu’ils n’ont pas peut-être chez eux, ce qu’ils n’ont pas dans la rue, ce qu’ils n’ont pas ailleurs. »
Sabiha Merabet

« [Les policiers] font des interventions directes. Ils entrent, ils vérifient les plaques [d’immatriculation], demandent les papiers, des noms », explique-t-elle aux intervenants de l’Équipe RDP, qu’accompagne Pivot. « Nos clients viennent, ils s’assoient, ils mangent, ils parlent, ils rient. On n’a jamais subi d’agressivité, de mots déplacés de la part de nos clients », soutient-elle en expliquant que le resto se veut « un pont » pour cette communauté de jeunes à qui on offre peu.

« La dernière fois, [les policiers] m’ont dit : “ah vous, vous vivez avec la pensée magique!”. Non, moi, je vis avec la réalité, la réalité que ces jeunes-là vivent. »

« Quand la police intervient de cette façon-là, ils détruisent tout ce qu’on a construit. »
Les contrecoups du profilage

Éclipse, c’est l’escouade du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) formée en 2008 qui mise sur la répression pour lutter contre la violence armée. En 2021, une unité censée s’attaquer spécifiquement aux « gangs de rue » y a été ajoutée.

« Quand Éclipse a été formée et qu’elle arrivait dans nos quartiers, c’était la débandade », explique Burt Pierre, l’un des intervenants d’Équipe RDP venus rencontrer Sabiha Merabet.

« Dès qu’il y avait trois, quatre noirs assis dans une voiture, ils fouillaient la voiture, les gens. Tout le monde était considéré comme des criminels, des bons à rien. Ils ne faisaient pas de différence. »

« Quand ils agissent comme ça, ça fait que tous les jeunes en retiennent une perception négative. »
Jeff

L’Équipe RDP s’est rapidement adressée au poste de quartier, avec qui elle entretenait de meilleures relations, afin de signaler que les interventions de l’escouade causaient plus de tort que de bien. « On leur a dit qu’à Rivière-des-Prairies, on ne peut pas avoir ces gars-là ici : ils sont trop répressifs dans leur manière de faire et ça crée de la bisbille entre les jeunes et les policiers. »

Depuis ce temps, l’Équipe RDP se tourne vers le poste de quartier lorsque vient le temps de collaborer avec la police, mais les interventions d’Éclipse ont persisté.

Les conséquences du profilage racial lors d’interventions policières sont sérieuses, signale Jeff qui est également intervenant avec l’Équipe RDP. « Quand ils agissent comme ça, ça fait que tous les jeunes en retiennent une perception négative », rappelle-t-il. Ces jeunes auront tendance à se méfier davantage des autorités et à s’isoler en évitant les lieux publics.

« Ils arrivent avec un biais – c’est normal, l’humain est comme ça, mais si tu prends un métier comme celui de policier […] tu ne peux pas faire ça. »
Besoin de sécurité

Rivière-des-Prairies est à première vue idyllique, avec de belles maisons et de jolis parcs. Les infrastructures se sont multipliées et la vie de quartier s’y est développée au cours des dernières années, en devenant toujours plus multiculturelle.

En regardant plus attentivement, on remarque un trou de balle dans un signe d’arrêt. En échangeant avec les résident·es, on apprend qu’un jeune a perdu la vie près du dépanneur du coin. Un jour, une balle perdue s’est même retrouvée dans le salon de Sabiha Merabet.

En se promenant en voiture, Burt Pierre pointe un terrain de basketball, situé le long d’un boulevard passant. Les jeunes évitent parfois de jouer dans un lieu si découvert, par peur de devenir une cible facile. « N’importe qui qui passe pourrait tirer sur eux sans problème », explique Burt Pierre.

Autrefois, c’était au parc que Jeff et Burt allaient à la rencontre des jeunes. C’est là que se déroulaient fréquemment leurs interventions.

« Si on avait plus de place comme [Chez Smoothzi], on aurait moins de problèmes dehors. »
Burt Pierre

« Maintenant, les jeunes viennent moins dans les parcs, parce qu’ils savent que c’est dangereux pour eux », souligne Burt Pierre. « Ils restent à l’intérieur. »

Dehors, si une dame plus âgée promène son chien ou si une jeune mère marche avec une poussette, c’est parce que la violence ne les concerne pas. « Le commun des mortels sort, mais pas les jeunes de la communauté. »

« Si on avait plus de place comme [Chez Smoothzi], on aurait moins de problèmes dehors », affirme Burt Pierre.

À ses yeux, c’est ce genre d’endroit qui permet de tranquillement désamorcer le cercle vicieux de l’insécurité qui pousse certain·es jeunes à s’armer ou à s’affilier à un groupe pour se protéger. « Les jeunes sont en sécurité avec nous et ils le savent », ajoute Sabiha Merabet, qui habite le quartier depuis plus d’une décennie.

« Quand on a déménagé, tout de suite j’ai vu le potentiel de Rivière-des-Prairies, je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne voit pas le potentiel que nous on voit. »

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