Un projet de loi pour la police aux dépens de leurs victimes

Un projet de loi déposé cette semaine par le ministre de la Sécurité publique vient diminuer la capacité des citoyen·nes de se défendre contre les abus policiers, selon les organismes de défense des droits civiques.

Le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel a déposé cette semaine la Loi modifiant diverses dispositions relatives à la sécurité publique(projet de loi 14), qui modifie sensiblement les règles entourant le travail des policiers.

En conférence de presse, le ministre a déclaré que la loi allait « améliorer l’accès à la déontologie policière ». Pourtant, elle limiterait la capacité à porter plainte contre la police en plus de donner plus de latitude aux organismes de contrôle de la police pour abandonner et écarter des dossiers, remarque la porte-parole de la Ligue des droits et liberté (LDL), Lynda Khelil.

« Ce que le ministre dit va tellement à l’inverse de la réalité. Il faut avoir un culot assez incroyable pour aller dire des choses comme ça. Il donne l’impression qu’on entend un représentant du lobby policier qui joue au ventriloque », dénonce le porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), Alexandre Popovic.
Limiter les plaintes en déontologie

Le projet de loi propose effectivement de retirer le droit aux personnes qui ne sont pas directement impliquées dans un incident de porter plainte en déontologie pour un tiers. Ainsi, seuls la personne qui subit le préjudice ou bien un·e témoin direct de l’évènement pourront porter plainte.

Cela pose un grave problème, selon Alexandre Popovic. « Ce n’est pas vrai qu’il y a tout le temps un citoyen qui est présent pour assister aux abus policiers », explique-t-il. « Et lorsque les interventions se terminent par un décès, la personne directement impliquée n’est plus là. Même sa famille ne pourra plus porter plainte. C’est inacceptable. »

Le nouveau projet de loi propose plutôt aux familles de signaler les agissements policiers problématiques à la Commissaire à la déontologie, un recours beaucoup moins contraignant pour la police qu’une plainte en bonne et due forme, selon Lynda Khelil.

La loi limiterait la capacité à porter plainte contre la police en plus de donner plus de latitude aux organismes de contrôle de la police pour abandonner et écarter des dossiers.

Un simple signalement ne permet pas de contester la décision de la commissaire en cas de rejet, contrairement à une véritable plainte « Ce qu’il faut comprendre c’est que la déontologie, c’est une machine à rejeter des plaintes. Ça ne me donne pas du tout confiance », s’inquiète Alexandre Popovic.

Déjà, à l’heure actuelle, selon le rapport annuel de la Commissaire en déontologie policière, ce seraient ainsi moins de 7 % des plaintes qui mènent à des enquêtes et moins de 1 % qui mènent à des sanctions pour les policier·ères visé·es. « Donc 99 % des policiers qui reçoivent des plaintes s’en sortent impunément. On ne me fera pas croire que les plaignants sont justifiés dans seulement 1 % des cas. Et ça, c’est avec le système actuel », remarque Alexandre Popovic.
Un recul par rapport au projet de loi 18

Le projet de loi 14 est en fait une nouvelle mouture du projet de loi 18 qui était mort au feuilleton l’automne dernier, explique Lynda Khelil. Or, plusieurs mesures qui étaient intéressantes pour les citoyen·nes mais qui déplaisaient aux services de police dans le projet de loi 18 ont été retirées dans la nouvelle version, remarque-t-elle.

Par exemple, dans la première version, des mesures visaient à allonger les délais maximaux pour pouvoir porter plainte en déontologie policière et d’autres forçaient le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) à faire preuve de plus de transparence. Elles ont été abandonnées.
Une occasion ratée de réformer le BEI

Au contraire, le projet de loi actuel vient plutôt donner plus de latitude au BEI, chargé d’enquêter sur la police, pour abandonner des enquêtes sans avoir à se justifier, souligne Lynda Khelil.

Selon elle, le gouvernement aurait aussi dû saisir l’occasion de s’attaquer aux problématiques connues dans le fonctionnement du BEI. « L’encadrement actuel du BEI ne permet tout simplement pas d’assurer son indépendance, son impartialité et sa transparence », remarque la porte-parole de LDL.

« La majorité des enquêteurs du BEI sont d’anciens policiers, comment voulez-vous qu’ils soient réellement indépendants? Le bureau porte vraiment mal son nom », ironise Mme Khelil.

La LDL a étudié le travail réalisé par le BEI depuis sa création en 2016 et a constaté que la majorité des citoyen·nes qui ont eu affaire avec lui en sont ressorti·es avec une grande méfiance envers l’institution et envers sa capacité à agir comme un arbitre réellement indépendant de la police, remarque sa porte-parole.

De plus, il semble que le bureau soit de moins en moins transparent au fil du temps, selon Lynda Khelil. « Des documents auxquels ont avait facilement accès en 2019 grâce aux demandes d’accès à l’information nous sont désormais systématiquement refusés. »
Un manque de vision

Pour la LDL, ce projet de loi témoigne du manque de vision de la CAQ concernant le rôle que doit jouer la police dans une société démocratique. « Il y a beaucoup de recul dans ce qu’ils proposent, même s’il y a de petites avancées », souligne la porte-parole.

« Ce qui est clair, c’est qu’ils y vont un peu à la pièce et qu’ils ont surtout écouté le point de vue des policiers. »
Lynda Khelil, Ligue des droits et libertés

Par exemple, le gouvernement compte adresser les « interpellations discriminatoires », une pratique dénoncée parce qu’elle mène à du profilage racial et de collecter des données sur le sujet. Lynda Khelil rappelle toutefois que le gouvernement devrait s’attaquer à l’ensemble des interpellations, d’autant plus que cette pratique n’est pas un pouvoir policier reconnu au Québec.

« En ajoutant des qualificatifs comme “discriminatoire”, ça sème la confusion surtout que la discrimination policière est déjà interdite par les chartes! » rappelle-t-elle. Aussi, collecter des données sur les interpellations peut être une bonne chose, selon elle, pour autant que cela ne devienne pas une excuse pour attendre avant d’agir.

« Ce qui est clair, c’est qu’ils y vont un peu à la pièce et qu’ils ont surtout écouté le point de vue des policiers », résume-t-elle.

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