Le SPVM dépasse (encore) son budget et la Ville lui en redonne toujours plus

Mercredi, Projet Montréal a déposé un budget pour 2023 comprenant une augmentation de 63 millions $ pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Si approuvée, ce sera la plus importante augmentation du financement des forces policières de l’histoire de Montréal, ainsi qu’un autre transfert de fonds publics vers un service de police qui est de plus en plus en décalage avec ceux des autres grandes villes canadiennes.

Si l’on examine les dix plus grands services de police urbains au Canada, le SPVM se distingue à plusieurs égards. Par exemple, il s’agit du service de police qui compte le plus grand nombre de policiers par habitant. Il a également enregistré l’augmentation budgétaire la plus importante entre 2020 et 2022.
Un budget en hausse… et constamment dépassé

Déjà, pour l’année en cours, l’argent supplémentaire reçu par le SPVM dépasse largement tout ce qu’on avait pu voir par le passé. Le SPVM a connu l’augmentation budgétaire la plus importante au Canada en 2022 (45 millions $), une autre injection de 45 millions $ par le gouvernement du Québec en août pour embaucher davantage de policiers, une autre d’environ 25 millions $ pour assurer la sécurité lors de la COP15, et enfin une autre 2,6 millions $ la semaine passée pour boucler l’année.

Or, on ne parle ici que des sommes ajoutées au budget du SPVM. Mais la police de Montréal se distingue également par ses dépassements de budget. Selon mes recherches (à paraître prochainement), chaque année entre 2017 et 2021, le SPVM a dépassé son budget de 30 millions $ (5 %) en moyenne. En 2022, c’était un dépassement de 50 millions $.

Le SPVM a non seulement bénéficié d’une augmentation budgétaire sans précédent cette année, mais il s’est également attribué lui-même des millions $ supplémentaires

Aucun des autres grands services de police urbains n’a fait état d’un tel bilan. La ville qui s’en est la plus rapprochée est Vancouver, avec un dépassement annuel de 2,4 millions $ (0,76 %). La norme pour les grands services de police, en fait, est d’arriver en dessous du budget.

Il est difficile d’identifier les raisons pour les dépenses excessives du SPVM. Les heures supplémentaires sont souvent évoquées, mais cette explication ne tient qu’en partie la route. Les heures supplémentaires sont normales dans les opérations de police. Tous les grands services de police prévoient un budget pour celles-ci.

La particularité du SPVM réside dans le fait qu’il dépasse largement les heures supplémentaires inscrites au budget chaque année. Entre 2017 et 2021, il a excédé ses dépenses liées aux heures supplémentaires de 18 millions $ par année en moyenne.

Ces dépenses excédentaires pour les heures supplémentaires du SPVM ont suscité des inquiétudes l’an dernier lorsqu’elles ont atteint 63 millions $, soit le double du montant prévu au budget. Il semble que ces inquiétudes n’aient pas pour autant conduit à une meilleure gestion de ces dépenses, puisque le SPVM va dépasser son budget consacré aux heures supplémentaires de 33 millions $ cette année.

En d’autres termes, le SPVM a non seulement bénéficié d’une augmentation budgétaire sans précédent cette année, mais il s’est également attribué lui-même 33 millions $ supplémentaires.
De l’argent qui serait mieux investi ailleurs

Il est vrai que Montréal a été confronté à certains problèmes de sécurité ces dernières années, notamment la violence armée, mais ce constat soulève autant de questions qu’il n’en résout. Après tout, Montréal n’est pas la seule ville confrontée à une augmentation d’un certain nombre de crimes violents, et elle reste la grande ville canadienne ayant le plus faible nombre d’homicides par habitant.

Son cas est toutefois unique en raison de l’augmentation massive du budget de la police et du niveau de dépenses excessives que la Ville lui permet.

Il convient avant tout de reconnaître que la majeure partie du travail de la police consiste à réagir à des problèmes sociaux qui n’ont pas été résolus autrement. (Le nouveau directeur du SPVM, Fady Dagher, n’est pas le premier à le dire.) Le fait de moins investir dans la résolution de problèmes réels – dans la prévention de la violence, la disponibilité de logements stables, etc. – nous contraint à nous tourner davantage vers la police pour maintenir l’« ordre social » par la surveillance, le harcèlement et la répression.

Mais avons-nous le choix? Y a-t-il un débat public sur ces options?

De toute évidence, il est préférable d’investir « en amont » afin de résoudre les problèmes sociaux plutôt que de réprimer les symptômes. Mais avons-nous le choix? Y a-t-il un débat public sur ces options? En 2020, la ville a sondé la population sur ses priorités budgétaires : 73 % des Montréalais·es ont indiqué préférer un budget policier plus faible. Un résultat que le parti au pouvoir, Projet Montréal, a ignoré. Pour éviter une réponse que le parti préfère ne pas entendre, la question était exclue des sondages ultérieurs.

Avec une augmentation proposée de 63 millions $ pour 2023, nous semblons être à la croisée des chemins – et il sera de plus en plus difficile de choisir une autre voie à l’avenir. Il nous faut décider si nous pouvons nous satisfaire d’un service de police qui ne correspond pas du tout au paysage canadien et faire face aux problèmes sociaux en faisant principalement usage de la répression.

Si tel n’est pas le cas, il serait temps d’inverser la trajectoire des dernières années en réduisant le budget de la police et en obligeant celle-ci à le respecter. Il faudra ensuite investir les fonds ainsi épargnés dans des programmes qui permettent de résoudre les problèmes et de diminuer le recours aux forces policières.

Ted Rutland est professeur à l’Université Concordia. Ses recherches examinent les politiques raciales de la planification urbaine et le maintien de l’ordre dans les villes canadiennes.

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