Mais pourquoi tu cours ? But why are you running?

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Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le premier mai anticapitaliste 2022 a montré de façon criante les limites de nos manifestations offensives. C’est une bonne chose que des camarades aient pu frapper certaines cibles symboliques mais c’est un vrai problème que ces attaques sifflent la fin de la manifestation au lieu d’en relancer l’élan. Il faut donc se poser la question de nos moyens, de nos choix tactiques et de nos capacités collectives.

Soulignons d’abord que ce n’est pas la casse qui provoque la dissolution de la manifestation. Certaines personnes quitteront toujours un évènement devenant plus offensif mais ce n’est pas tellement le cas ici ou très marginalement. On peut considérer que l’essentiel des camarades présents savent ou iels mettent les pieds et donc à quoi s’attendre. De même, la présence policière massive, collant parfois de très près le cortège, n’empêche pas la tenue de l’évènement (cf. la dernière manif du COBP). Le moment fatidique arrive avec l’usage des lacrymos.

Pour une raison difficile à comprendre, la fumée qui pique semble instiller une terreur sans nom au milieu montréalais. Le gaz est certes très incommodant et peut devenir un vrai problème pour certaines personnes qui y sont plus sensibles mais ce n’est vraisemblablement pas le cas de tout le monde et leur utilisation dans d’autres pays ne provoque les mêmes réactions. Le gaz y est d’ailleurs souvent plus concentré et utilisé plus généreusement. Le problème vient donc vraisemblablement d’un manque d’entraînement et de solidarité collective. Je pense qu’on peut identifier plusieurs facteurs imbriqués ; la peur du gaz et de ses effets, la peur de l’arrestation, la panique collective/mouvement de foule et la culture locale.
Je cours parce que tu cours…

La peur du gaz et de ses effets semble de prime abord tout à fait rationnelle. Il est normal de chercher à s’extraire d’une situation douloureuse ou inconfortable. Cependant cette peur de la douleur ou de l’inconfort est largement disproportionnée. Le problème de ce phénomène c’est qu’il agit comme une prophétie auto-réalisatrice. Chacun.e. sait que les effets des gaz ont tendance à s’aggraver avec la peur ou le stress, notamment pour les personnes qui n’y sont pas habituées. Le fait de chercher à s’extraire à tout prix du gaz renforce paradoxalement ses effets en contribuant à des phénomènes de panique collectives. Par ailleurs en cherchant à sortir par tous les moyens de la zone on en vient à faire de mauvais choix tactiques individuellement ou collectivement. Certain.e.s choisissent de quitter la manifestation en petits groupes, en s’illusionnant sur le fait qu’iels pourront la retrouver un peu plus loin. Dans les faits le comportement se propage et les appels lancés aux hasard à se rassembler ailleurs ne servent qu’à camoufler la débandade. Il me semble nécessaire de changer radicalement cet état de fait.

Tout d’abord c’est une bonne chose d’attirer l’attention de la manifestation sur ce que font les policiers, mais crier qu’« ils gazent » semble avoir l’effet inverse de ce qui est souhaité. Avant même de voir les palets rebondir sur le sol un vent de panique parcours le groupe et les moins aguerris commencent déjà à courir. Il faudrait trouver une solution pour ne pas renforcer indirectement l’efficacité des attaques policières. Peut-être serait-il bon de ponctuer ces appels d’encouragement à ne pas paniquer, à rester grouper et à ne pas courir.

Lorsque les capsules sont au sol, plutôt que de chercher à s’en éloigner, il devrait être une pratique commune de les éloigner de la manifestation, voir de les retourner à l’envoyeur (les flics à vélo n’avaient pas de masques au 1er mai et semblent avoir été pas mal incommodés par les gaz). Actuellement si certaines personnes ont bien tenté de les éloigner, la plupart des tentatives observées revenaient souvent à éloigner les capsules à coups de pieds vers d’autres endroits de la manifestation, même si ce n’était pas l’objectif. L’intention de ces camarades est bonne mais leur initiative est rendue très compliquée par le fait que la manifestation commence déjà à se disloquer, que l’endroit à protéger devient flou et qu’iels risquent de se retrouver isolé.e.s.

Une fois que le gaz commence à se répandre, invitons les plus paniqués d’entre nous à prendre une seconde pour analyser la situation. Est-ce que le gaz est vraiment si incommodant que ça ? Est-ce que les policiers se rapprochent vraiment trop près ? Ont-ils l’air de cibler des personnes ou de se préparer à faire des arrestations ? Ont-ils l’air de chercher à mettre en place une nasse ? Si aucune de ces conditions n’est remplie, se mettre à courir ne peut qu’aggraver la situation. Alors on s’accroche à son binôme, on reste groupé, on suit la bannière de tête et on essaye de rester calme pour ne pas aggraver les effets du gaz. La fuite par petits groupes est une solution individualiste à un problème de sécurité collective.

Il est bien sûr parfois nécessaire de courir, mais là encore, pas besoin de se lancer dans un sprint paniqué si les flics ne nous collent pas aux basques. Dans la plupart des cas, il suffit de trottiner quelques dizaines de mètres pour sortir d’un nuage trop dense ou pour se mettre hors de portée de l’anti-émeute. Ne pas courir trop vite contribue aussi à conserver la cohérence de la manifestation, à ne pas isoler les camarades moins rapides et à éviter le ciblage des gens isolés.
Mais… moi je cours parce que TU cours…

Les risques d’arrestation ont été évoqués plus haut mais il semble important d’y revenir plus précisément. Cette peur est bien plus légitime que la simple crainte du gaz. Se faire attraper peut avoir des conséquences graves pour la vie des camarades, spécialement si iels ont mené des actions offensives ou judiciairement condamnables. Ici encore il semble que la solution choisie par toutes et tous est de chercher à s’en sortir tout seul, ou avec son petit groupe.

Il faut rappeler que les flics cherchent actuellement à cibler certaines personnes mais plus rarement le groupe dans son ensemble. Or, en se mettant à courir de façon déraisonné on facilite leur travail; des personnes et des petits groupes se retrouvent isolés, se changent comme iels le peuvent, sans aucune protection, avec le risque omniprésent de se faire arrêter pour les moins rapide ou les moins discrets. Ceci offre des opportunités pour les policiers, que la personne ait fait quelque chose ou non. La plupart du temps les charges de l’anti-émeute ne servent justement qu’à nous faire courir ou reculer. Étant donné leur équipement il ne tenteront pas de nous suivre longtemps; leur tactique consiste essentiellement à nous faire peur en criant « Bouh! ».

La solution est cependant plus complexe pour résoudre cette question de la peur de la police et de l’absence de confiance entre camarades. Il s’agit d’apprendre à travailler ensemble pour développer cette solidarité qui manque cruellement. Il est aussi nécessaire de se former collectivement à agir en groupe pour qu’une masse critique de personnes se connaissant et ayant l’habitude, empêche nos manifestations de devenir une course au « chacun pour soi ».
On devrait arrêter de courir alors ?

Il faut donc ici parler de la question de la panique collective et des mouvements de foules. On a vu que ces manifestations étaient l’occasion de comportements irrationnels (peur du gaz, des arrestations etc.) qui provoquent par la suite une forme de panique collective. Selon moi il s’agit ici du danger principal dans nos manifestations, avant la police et ses armes. Nous ne devrions pas être surpris par la brutalité policière, par les arrestations et les procès. Tou.t.e.s les militant.e.s révolutionnaires connaissent ces risques ou les ont vécus. Néanmoins la plupart d’entre nous avons commencé à nous impliquer avec l’idée que la force collective était le moyen de faire changer les choses. Or ces moments de délitements individualistes viennent frapper de plein fouet le beau mythe de la solidarité dans nos mouvements; quand ça pète c’est chacun pour soi et on verra après. Pour de nouvelles personnes ce constat peut les dégoûter définitivement de s’organiser avec nous. Ce problème devrait en soi nous encourager à trouver des solutions mais il n’est malheureusement pas le seul.

Un mouvement de foule provoqué par la panique peut être particulièrement dangereux et difficile à arrêter. La taille de la manifestation fait que le danger reste limité dans notre cas et ne devrait pas provoquer de morts. Néanmoins il n’est pas difficile d’imaginer que de graves blessures soient occasionnés par ces mouvements de personnes cherchant à fuir les gaz et/ou la police; bousculade faisant chuter les gens, piétinement des personnes tombées au sol, sans compter les danger inhérents à la circulation.

Il est très difficile d’arrêter ces mouvements de panique une fois que le phénomène se répand dans le groupe. Chacun en a fait l’expérience, ça commence par quelques personnes qui courent ou crient et bientôt la panique se répand comme une vague à travers le groupe au point que même les personnes ayant la tête froide sont obligées de courir ou de se retrouver isolées (participant par là-même à la reproduction du phénomène). Il est essentiel de chercher à stopper cette panique dans l’œuf. Il faut rattraper ou rappeler au calme nos camarades qui paniquent et les faire revenir à la raison. Il faut s’abstenir de courir le plus longtemps possible et appeler régulièrement le monde à rester calme, groupé et solidaire.
…Moi j’ai pas confiance…

Il faut ici pointer le problème sous-jacent à tout ce qui a déjà été soulevé; le manque d’une culture de résistance collective qui encourage des comportements solidaires. Il est tout de même incroyable que, dans une ville qui compte autant de militant.e.s révolutionnaires, une meilleure coordination ne soit pas possible. Le manque de pratique y est sans doute pour quelque chose, les manifestations offensives ne sont pas si fréquente au cours de l’année, mais le problème demeure. Le travail mené par certains groupes pour organiser ces moments est démesuré par rapport à la durée et à l’impact de l’évènement. Il est de la responsabilités de tou.t.e.s de faire le meilleur usage de ces dates que nous imposons au calendrier de nos ennemis; 20 minutes de casse dans le centre-ville ne devraient suffire à nous satisfaire, pas plus que la facilité déconcertante pour la police de faire cesser le problème. Loin d’en sortir galvanisé je suis plutôt assailli par le sentiment d’une grande faiblesse collective. Les camarades excuseront cette conclusion qui tranche avec l’habitude d’auto-congratulation post-manif, mais ce texte ne cherche pas à jouer le rôle d’un communiqué de presse. Il y a des problèmes et il serait important de s’attaquer au problème collectivement.

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The anti-capitalist MayDay 2022 blatantly showed the limits of our offensive demonstrations. It’s a good thing that comrades were able to hit certain symbolic targets, but it’s a real problem that these attacks signaled the end of the demonstration instead of rekindling its momentum. We must therefore reflect on our means, our tactical choices, and our collective capacities.

To start off, lets be clear that it is not the attacks that cause the demonstration to disperse. Some people will always leave an event when it starts becoming more offensive but this is not so much the case here, or only very marginally. We can assume that most of the comrades present know what they are getting into, and what to expect. In the same way, the massive police presence, sometimes sticking very close to the crowd, does not prevent the event from taking place (cf. the last COBP demonstration). The fateful moment arrives with the use of tear gas.

For some reason, the stinging smoke seems to instill a nameless terror in the Montreal milieu. Gas is certainly very unpleasant and can become a real problem for some people who are more sensitive to it, but this is certainly not the case for everyone and its use in other countries does not provoke the same reactions. In other places, the gas is often more concentrated and used more generously. So the problem here is most likely a lack of training and collective solidarity. I think we can identify several interrelated factors; fear of the gas and its effects, fear of arrest, collective panic/mob movement, and local culture.
I run because you run…

The fear of gas and its effects seems at first to be quite rational. It is normal to try to get out of a painful or uncomfortable situation. However, this fear of pain or discomfort is largely disproportionate. The problem with this phenomenon is that it acts as a self-fulfilling prophecy. Everyone knows that the effects of gas tend to worsen with fear or stress, especially for people who are not used to it. The act of trying to get out of the gas at all costs paradoxically reinforces its effects by contributing to collective panic phenomena. Moreover, when desperately trying to get out of the area, we are more likely to make bad tactical choices, individually or collectively. Some people choose to leave the demonstration in small groups, under the illusion that they will be able to rejoin later. In fact, the behavior spreads and the random calls to gather elsewhere only serve to camouflage the chaotic dispersal. It seems to me that this state of affairs must be radically changed.

First of all it’s good to draw the attention of the demonstration to what the police are doing, but shouting “they are gassing” seems to have the opposite effect of what is desired. Even before seeing the pucks bouncing on the ground, a wave of panic runs through the group and those with less experience already start to run. A solution should be found so as not to indirectly reinforce the effectiveness of the police attacks. Perhaps it would be good to punctuate these calls with encouragement not to panic, to stay together, and not to run.

When the capsules are on the ground, rather than trying to get away from them, it should be common practice to move them away from the demonstration, or even to return them to the sender (the cops on bicycles did not have masks on May 1st and seem to have been quite inconvenienced by the gas). When some people did try to move the capsules away, most of the observed attempts were to kick the capsules towards other parts the demonstration, even if this was not the objective. The intention of these comrades is good, but their initiative is made very complicated by the fact that the demonstration is already starting to break up, that the area to protect is becoming blurred, and that they risk finding themselves isolated.

Once the gas starts to spread, let’s invite the more panicked among us to take a second to analyze the situation. Is the gas really that bad? Are the police really getting too close? Does it look like they are targeting people or preparing to make arrests? Does it look like they are trying to set up a trap? If none of these conditions are met, running will only make the situation worse. Instead, we can stick with our buddy, stay with the group, follow the front banner, and try to remain calm to not to worsen the effects of the gas. To escape in small groups is an individualistic solution to a collective safety problem.

Of course, sometimes it is necessary to run, but again, there is no need to start a panicked sprint if the cops are not on your tail. In most cases, it is enough to jog a few dozen meters to get out of a dense cloud or to get out of the riot squad’s reach. Not running too fast also contributes to maintaining the coherence of the demonstration, prevents slower comrades form falling behind, and avoids the targeting of isolated individuals.
But… I run because YOU run…

The risk of arrest has been discussed above, but it seems important to return to it in more detail. This fear is much more legitimate than just the fear of gas. Getting caught can have serious consequences for the lives of comrades, especially if they have carried out offensive or criminalized actions. Again, it seems that the solution everyone chooses is to try to get out alone, or with their small group.

It should be remembered that currently the cops are trying to target certain people from the demo, but rarely the crowd as a whole. By running around unreasonably, we make their work easier; individuals and small groups are isolated, changing as best they can, without any protection, with the omnipresent risk of being arrested, especially for the slowest or least discreet. This provides opportunities for the police, whether the person has done anything or not. Most of the time the riot police charges are just to make us run or back up. Due to their heavy equipment, they will not try to follow us for long; their tactic is essentially to scare us by shouting “Boo!”.

However, there is no simple solution for how to resolve this issue of fear of the police and the lack of trust between comrades. It is a matter of learning to work together to develop the solidarity that is sorely lacking. It is also necessary to train collectively and to participate as groups so that there is a critical mass of people who know each other and are familiar moving together, to prevent our demonstrations from descending into “everyone for themselves”.
Should we stop running then?

It is therefore necessary to speak here about the question of collective panic and crowd movements. We have seen that these demonstrations exhibited patterns of irrational behaviors (fear of gas, arrests etc.) which provoke a form of collective panic. In my opinion this is the main danger in our demonstrations, before the police and their weapons. We should not be surprised by police brutality, arrests and trials. All revolutionary militants know these risks or have experienced them. Nevertheless, most of us began our involvement with the idea that collective force was the way to make change. But these moments of individualistic breakdown are a blow to the beautiful myth of solidarity in our movements; when the going gets tough, it’s every person for themselves and then we’ll see each other afterwards. For new people, this can put them off organizing with us for good. This problem on its own should encourage us to find solutions but unfortunately it is not the only one.

A crowd movement caused by panic can be particularly dangerous and difficult to stop. The size of the demonstration makes the danger limited in our case and should not cause any deaths. Nevertheless, it is not difficult to imagine that serious injuries could be caused by the movement of people trying to escape from the gas and/or the police; pushing and shoving making people fall down, trampling of people who have fallen on the ground, not to mention the inherent dangers of traffic.

It is very difficult to stop these kind of panicked movements once the phenomenon spreads through the group. Everyone has experienced it, it starts with a few people running or shouting and soon the panic spreads like a wave through the group to the point that even cool-headed people are forced to run or become isolated (thus participating in the reproduction of the phenomenon). It is essential to try to nip this panic in the bud. We must calm our panicking comrades and make them come to their senses. We must refrain from running as long as possible and regularly call on everyone to remain calm, grouped, and united.
…I’m lacking trust…

Here we must point out the underlying problem of everything that has already been raised; the lack of a culture of collective resistance that encourages united behavior. It is still incredible that, in a city that has so many revolutionary militants, better coordination is not possible. The lack of practice is definitely a factor, as offensive demonstrations are not so frequent throughout the year, but the problem remains. The work carried out by certain groups to organize these moments is disproportionate in relation to the duration and impact of the event. It is the responsibility of everyone to make the best use of these dates that we impose on the calendar of our enemies; 20 minutes of attacks in the city center should not be enough to satisfy us, nor should the disconcerting ease with which the police are able to stop the problem. Far from coming out of it energized, I am instead assailed by a feeling of great collective weakness. Comrades should forgive this conclusion which contrasts with the usual post-demo self-congratulations, but this text does not seek to play the role of a press release. There are clearly problems, and it is important that we address them collectively.

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