Turquie: nouveaux affrontements entre police et manifestants

De violents affrontements ont à nouveau éclaté mercredi en Turquie entre la police et des dizaines de milliers de manifestants descendus dans les rues pour dénoncer le gouvernement à l'occasion des funérailles d'un garçon de 15 ans, mort des suites de blessures causées par la police en juin dernier.

Pour la deuxième journée consécutive, les forces de l'ordre sont intervenues à grands renforts de gaz lacrymogènes et de canons à eau, notamment à Istanbul, Ankara, Izmir (ouest) ou encore Eskisehir (nord-ouest) pour disperser de nombreux rassemblements organisés à la mémoire de Berkin Elvan, décédé mardi après 269 jours de coma.

A moins de trois semaines des élections municipales, la mort de cet adolescent a brutalement ravivé la contestation contre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son gouvernement, déjà englués dans un scandale de corruption sans précédent.

A Istanbul, une foule compacte a défilé mercredi pendant de longues heures dans les rues de la ville pour accompagner le cercueil drapé de rouge de la victime en criant des slogans hostiles au pouvoir.

«Tayyip, assassin», «L'État meurtrier rendra des comptes» ou «Gouvernement, démission», ont scandé les manifestants dans le plus grand défilé organisé dans la plus grande ville du pays depuis la fronde qui a fait vaciller le régime en juin 2013.

«Combien de jeunes gens doivent encore mourir pour qu'Erdogan démissionne?», s'est interrogé Atilla Izmirlioglu, un ouvrier à la retraite venu assister aux obsèques.

Des échauffourées ont éclaté dès la fin des funérailles, lorsqu'une partie du cortège stambouliote a voulu marcher sur l'emblématique place Taksim. La police a dispersé sans ménagements les manifestants, qui ont riposté par des jets de pierres et des tirs de feux d'artifice.

Ces affrontements ont continué tout au long de la soirée à Istanbul, Ankara et dans plusieurs autres villes, ont rapporté les médias turcs, qui ont fait état de nombreux blessés et interpellations.

Un policier qui participait à une intervention contre des manifestants à Tunceli (est) est par ailleurs décédé accidentellement d'une crise cardiaque provoquée par les gaz lacrymogènes, a rapporté l'agence Dogan citant l'hôpital local.

«Provocation»

En pleine campagne électorale, M. Erdogan a dénoncé ces manifestations comme une «provocation». «Essayer de mettre le feu à la rue dix-huit jours avant des élections n'est pas un comportement démocratique», a-t-il lancé à ses rivaux lors d'une réunion publique à Mardin.

«Il y a une volonté de saboter en quelque sorte les élections avec des mouvements sociaux», a renchéri le chef du gouvernement mercredi soir lors d'un entretien accordé à la chaîne Télé 24.

Cette nouvelle poussée de fièvre intervient alors que le Parti de la justice et du développement (AKP), qui règne sans partage sur la Turquie depuis 2002, est englué dans des affaires de corruption qui le fragilisent à la veille des élections.

M. Erdogan lui-même et son fils, trahis par des écoutes téléphoniques dont le contenu a été publié sur internet, sont personnellement mis en cause.

Le Premier ministre a balayé ces accusations d'un revers de la main et accuse ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influents dans la police et la justice, de les avoir fabriquées pour le déstabiliser.

Sûr du soutien des électeurs, M. Erdogan a donné rendez-vous à ses contradicteurs le 30 mars pour un scrutin municipal aux allures de référendum.

Contrairement à plusieurs de ses ministres qui ont confié leur «tristesse» et présenté leurs condoléances à sa famille, M. Erdogan s'est jusque-là refusé à évoquer publiquement la mort de Berkin Elvan, devenu un symbole de la répression des manifestations de juin dernier.

Selon sa famille, il a été grièvement blessé à la tête dans son quartier le 16 juin par un tir de grenade lacrymogène alors qu'il sortait chercher du pain pendant une intervention de la police.

Interrogé mercredi soir à la télévision, le père de la victime a mis en cause le Premier ministre. «Je connais le coupable», a déclaré Sami Elvan sur CNN-Türk. «S'il l'avait voulu, l'assassin aurait été retrouvé en l'espace d'une heure», a-t-il ajouté.

Le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), a lui aussi reproché au Premier ministre son attitude. «Avez-vous dit "reposez en paix"? Où est votre dignité?», a lancé Kemal Kiliçdaroglu devant des milliers de partisans.

Cette reprise des manifestations en Turquie a inquiété le Parlement européen qui, dans une résolution adoptée mercredi,»s'est inquiété mercredi de sa «dérive», dénonçant notamment ses récentes lois renforçant le contrôle du pouvoir sur les magistrats et l'utilisation d'internet.

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