Le manque d’encadrement et de transparence de l’université est dénoncé

14 février 2014 | Lisa-Marie Gervais | Éducation

L’UQAM se prend-elle pour « Big Brother » ? C’est l’avis de plus en plus d’étudiants et d’enseignants, qui dénoncent le manque de transparence et plaident pour un meilleur encadrement de l’utilisation des caméras de sécurité.

« Il n’y a aucun encadrement pour la vidéosurveillance. Et quand on demande des informations, comme le nombre de caméras installées, on refuse de nous répondre en invoquant la Loi d’accès à l’information et en nous disant que ces infos risquent de compromettre la sécurité », a dit René Delvaux, représentant étudiant au conseil d’administration de l’Université du Québec à Montréal.

En plus de nourrir un certain climat de peur, le manque de transparence dans l’utilisation des images exacerbe, selon lui, ce sentiment de méfiance. « Il n’y a personne de l’extérieur qui vérifie et contrôle les activités du service de prévention et sécurité. Alors, les étudiants continuent d’avoir des craintes concernant l’utilisation des images », a ajouté M. Delvaux. Il souligne que des étudiants ont fait face à des poursuites criminelles, dans lesquelles des images vidéo prises à l’UQAM ont servi à les incriminer.

« Ce qui est mal vécu par une bonne partie du personnel, c’est l’opacité totale du mécanisme décisionnel en la matière, affirme Julien Pieret, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM. On découvre des caméras et on n’a pas été informés de leur installation. »

Davantage de caméras

L’autre source d’insatisfaction vient, selon lui, du fait que l’UQAM justifie la présence accrue de caméras de sécurité par la forte criminalité du quartier. « On a fait circuler un document qui énumérait tous les actes qui ont justifié l’intervention des services de sécurité de l’UQAM, comme le harcèlement au travail, la paraphilie, la cigarette ou les seringues dans les toilettes. Mais aucune démonstration n’est faite que les caméras aideront à diminuer ces crimes. »

Présentes depuis un bon moment déjà, les caméras se sont faites plus nombreuses en 2008, alors que le gouvernement se montrait généreux en subventions pour renforcer la sécurité après la tuerie de Dawson. Les étudiants allèguent que l’UQAM a reçu 2,5 millions pour son parc de caméras, qui nécessite un budget d’entretien de 200 000 $, mais l’administration parle plutôt de 1,5 million pour un système d’urgence comprenant des intercoms, des écrans et d’autres dispositifs.

Il y a un peu plus d’un an, l’installation de nouvelles caméras au pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM, un carrefour où logent plusieurs associations étudiantes, avait suscité la grogne. Les étudiants ont craint d’être observés, voire fichés pour leurs activités militantes. « La crainte, c’est que l’utilisation des caméras serve à la vidéosurveillance d’activités syndicales et politiques et qu’au lieu que ça serve à la sécurité, ça soit utilisé pour renvoyer ou sanctionner des étudiants », a dit Xavier Dandavino, de l’Association des étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation (ADEESE).

Perturbation de discours du recteur, protestations et conférences de sensibilisation, la mobilisation s’est intensifiée durant la dernière année. Plusieurs associations étudiantes et syndicats d’enseignants ont répondu à l’appel des organisateurs de la campagne contre la vidéosurveillance. Encore hier, jeudi, l’ADEESE a voté en assemblée générale pour un appui massif à la politique alternative en matière de surveillance vidéo. Des syndicats et plusieurs associations facultaires ont aussi donné leur appui.

Politique alternative

Élaborée par MM. Pieret et Delvaux ainsi que par Samuel Ragot, étudiant membre du Comité conseil en matière de prévention et de sécurité des personnes et des biens, cette politique exige, en l’essence, que la communauté universitaire soit consultée pour tout projet de modification ou d’installation de caméra. Elle souhaite aussi que les caméras cachées soient interdites, tout comme le partage d’images avec les services de sécurité publique, comme la police de Montréal, qui n’en auraient pas le mandat.

Cette politique alternative veut faire contrepoids à celle soumise à la consultation par la direction de l’UQAM, qui s’est terminée à la fin du mois de janvier et qui fera prochainement l’objet d’un rapport au conseil d’administration. Selon ses détracteurs, la politique de l’UQAM ne tient pas compte des lignes directrices édictées par la Commission d’accès à l’information et des dispositions relatives au respect de la vie privée et aux libertés fondamentales.

Selon Marc Turgeon, vice-recteur à la vie étudiante, plusieurs étudiants sont plutôt rassurés par la présence de caméras de sécurité, qui servent à prévenir le vol et les agressions. Sans pouvoir mesurer leur impact réel, il croit en leur pouvoir dissuasif. Le parc de caméras permet aussi de faire de la patrouille virtuellement, qui « économise des coûts en agents de sécurité ».

Les images captées par les caméras ne sont transmises à la police que sur présentation d’un mandat, dit M. Turgeon. Il se défend de tout enregistrer et de faire de la surveillance en continu, encore moins de faire du profilage politique des associations étudiantes. « Dans sa logique, le militant croit qu’on les a mises [les caméras]
pour le surveiller, mais la réponse est non. La raison d’être des caméras, c’est de jeter un regard en situation d’urgence dans un espace qui est à haute densité de circulation dans l’université. »

M. Turgeon n’est pas contre l’idée d’un comité de vigie, pour plus de transparence. « Mais je ne parviendrai jamais à apaiser les craintes des gens qui ont une perspective militante. Le militant qui considère que la caméra est là pour le surveiller, c’est difficile de lui faire comprendre qu’au pavillon de danse, où il y a près de 100 % de filles, certains sont contents d’avoir une caméra pour surveiller le soir. »

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Vidéosurveillance: des règles à moderniser

La Commission d’accès à l’information (CAI) a établi en 2005 une vingtaine de critères qui devraient guider les organisations ayant recours à la vidéosurveillance. « La question qu’il faut se poser, c’est : est-ce qu’on veut concéder une partie de notre vie privée pour des raisons de sécurité ? », explique Christiane Bétie, directrice de la surveillance à la CAI.

Les organisations doivent avoir une raison bien précise d’installer des caméras, a-t-elle indiqué au Devoir. Elles doivent aussi trouver des solutions de rechange à la vidéosurveillance, comme l’embauche de gardiens de sécurité ou un meilleur éclairage des lieux sous surveillance.

La CAI suggère aussi de détruire les images après une courte période de temps et de contrôler l’accès aux données, pour éviter que des intrus s’en emparent ou les diffusent sur Internet. Le recours aux caméras doit aussi se faire en toute transparence, insiste Mme Bétie. Les gens doivent savoir qu’ils sont filmés. L’arrivée sur le marché de caméras numériques ultraperformantes, peu coûteuses et téléguidées par Internet, rend encore plus essentiel l’encadrement de la vidéosurveillance, selon la CAI.

L’organisme n’a qu’un rôle consultatif pour faire appliquer des règles établies il y a près d’une décennie. « Dix ans plus tard, où est-ce qu’on en est ? demande-t-elle. Il y a beaucoup de projets de vidéosurveillance. Ça serait une bonne idée d’actualiser nos règles. »

Marco Fortier

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