Intervention de la Coalition Justice pour Anas à l'enquête publique du coroner sur la mort de Michel Berniquez

Avant-propos

Le texte suivant devait être lu par un membre de la Coalition Justice pour Anas à la fin de l'enquête publique sur la mort de Michel Berniquez le 7 décembre 2011. Mais vu que la coroner Andrée Kronström a décidé que la brutalité policière et l'impunité n'avaient rien à voir avec son enquête, et vu les multiples objections de l'avocat de la Fraternité des Policiers et Policières de Montréal à ce qu'on commente l'enquête publique sur la mort de Anas ou même la preuve (incomplète) présentée lors de cette enquête publique, finalement on aura pas pu en lire la moitié... Vu que la recherche de la vérité est détournée dans une recherche de protéger les coupables (policiers assassins et le système dont ils font partie), force nous est de constater une fois de plus que les enquêtes publiques du coroner sont faites bien plus pour rassurer les policiers et leur pouvoir plutôt que pour répondre aux questions des familles de victimes et de la communauté. Bref, la lutte continue!

Intervention de la Coalition Justice pour Anas

à l'enquête publique du coroner sur la mort de Michel Berniquez

Montréal, 7 décembre 2011

Introduction

Bonjour,

Permettez-moi de commencer mon intervention par une présentation de la Coalition Justice pour Anas que je représente aujourd'hui et du lien entre cet organisme et cette enquête publique du coroner sur la mort de Michel Berniquez. La Coalition Justice pour Anas a été mise sur pied par la famille de Mohamed Anas Bennis et des militants et militantes suite au décès de Anas le 1er décembre 2005 sous les balles de l'agent Yannick Bernier du SPVM dans le quartier Côte-des-Neiges. Une quarantaine d'organismes soutiennent les revendications de la Coalition qui étaient:

 

  1. L'accès immédiat à tous les rapports, preuves et informations concernant la mort de Mohamed Anas Bennis pour la famille Bennis et le public;

  2. une enquête publique et indépendante complète sur la mort de Mohamed Anas Bennis;

  3. la fin de l'impunité et de la brutalité policière.


 

Plus de six ans après la mort de Anas, force nous est de constater qu'aucune de ces revendications n'a été satisfaite pleinement. Ce qui fait le lien avec l'affaire Michel Berniquez. Dans les deux cas:

 

-une personne a perdu la vie au cours d'une intervention policière;

-faute de transparence, la famille doit lutter pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à leur proche;

-comme dans plus de 99% des enquêtes de la police sur la police, les policiers ne sont pas accusés;

-les enquêtes publiques du coroner sont ordonnées, mais contestées par la FPPM et la Ville de Montréal jusqu'en Cour Suprême. Puis, quand elles ont enfin lieu, de nombreuses années plus tard, elles sont décevantes et inéquitables: la famille Bennis en a été exclue vu le refus du ministre Dutil d'assumer ses frais d'avocats (alors qu'il propose maintenant de modifier la loi pour permettre aux coroners d'accorder de tels frais à l'avenir!), de même que la Coalition Justice pour Anas, alors que les seules parties qui y participent sont celles-là même qui s'opposaient à la tenue d'enquêtes publiques sous prétextes qu'elles étaient « inutiles donc illégales »: les policiers, qui sont, en cour comme dans la rue, sur-représentés avec leurs avocats, ceux de la Fraternité et de la Ville de Montréal (dont les intérêts se recoupent de toute évidence: protéger les policiers en tentant de cacher la vérité au public). De plus, votre collègue la coroner Catherine Rudel-Tessier n'a même pas daigné de faire une seule recommandation pour une meilleure protection de la vie humaine au terme de son enquête expédiée en une journée et demi au Palais de « Justice » de Laval, ce qui aurait pourtant pu sauver les vies de Mario Hamel et Patrick Limoges. La Coalition a donc déposé une plainte contre elle pour son manque d'impartialité.

 

Quant à vous, Mme la coroner, vous nous avez empêché de participer à cette enquête publique pour laquelle la famille Berniquez et des militants ont dû lutter pendant 8 années, tout ça pour se faire dire avant même le début de votre enquête que « la brutalité policière ne fait pas partie des facteurs ayant contribué au décès de Michel Berniquez ». Vous avez dit que notre intérêt, soit la fin de la brutalité policière et de l'impunité, n'a pas de lien avec votre enquête publique. Vous avez aussi dit que les parties intéressées ne peuvent pas « se recouper » (qu'en est-il de ceux des policiers, de la Fraternité et de la Ville?) et que la famille Berniquez est déjà représentée par un avocat. Pourtant, la famille Berniquez voulait avant tout savoir la vérité sur les circonstances entourant la mort de Michel, à savoir, le fait qu'il est mort après avoir été battu par les policiers. De notre côté, en tant qu'organisme qui regroupe des membres de la communauté, notre intérêt est aussi et surtout que ce qui est arrivé à Michel Berniquez, mourir durant une intervention policière, n'arrive plus à d'autres personnes. Apparemment, cela ne fait pas partie de votre mandat, alors que le Bureau du coroner prétend chercher à « protéger des vies humaines ».

 

Maintenant, vous nous autorisez à prendre la parole, tout en limitant notre droit de « commenter » à la condition qu'on ne parle pas de brutalité policière ni d'impunité. On va tenter de se plier à cette limite, mais avouez que ce n'est pas évident quand on parle d'une personne morte après avoir été battue par des policiers qui n'ont jamais été accusés au criminel!... Selon nous, on ne peut pas isoler la mort de Michel Berniquez du contexte de bavures policières impunies, dont beaucoup de victimes étaient des personnes en crise, car cela fait partie intégrante des causes et circonstances de sa mort. En effet, l'impunité policière est un des facteurs de la continuation des abus car elle fait que les policiers se sentent et agissent comme s'ils étaient au-dessus des lois. Bref, on a beaucoup de choses à dire là-dessus, mais on va garder ça pour un endroit où on a encore parfois la liberté d'expression: la rue (quand la Ville de Montréal n'envoie pas son escouade anti-émeute pour criminaliser la dissidence...).

 

Heureusement pour la crédibilité de votre enquête, on a aussi beaucoup de choses à dire sur la bonne question que vous avez posé: « comment mieux intervenir auprès des personnes en crise », c'est-à-dire comment les aider au lieu de les brutaliser et de les tuer. Cette question est d'une importance capitale si on veut éviter que d'autres personnes finissent comme Michel Berniquez, Mario Hamel, Patrick Limoges et tant d'autres.

 

1) L'affaire Berniquez:

 

D'après la preuve présentée devant vous, le 28 juin 2003, Michel Berniquez était une personne en état de crise, qui avait consommé des drogues et avait des problèmes de santé mentale. Dès l'appel du dépanneur, les policiers constatent qu'il a l'air désorganisé. Pourtant, on n'appelle pas d'intervenants en santé mentale comme UPS-Justice qui existait déjà à l'époque (depuis 1996). On le cherche, sans succès. Quand les policiers retrouvent Michel Berniquez sur la rue Henri-Bourassa, ils engagent tout de suite la poursuite, montent en auto sur le trottoir, le poursuivent à travers le trafic, sortent leurs matraques télescopiques qui étaient un « projet pilote ». ((Ce fait a probablement encouragé les policiers à utiliser cette arme, alors qu'ils faisaient pourtant face à un homme sans arme. On a donc utilisé Michel Berniquez comme cobaye pour tester ce nouvel outil de violence policière (ou plutôt, « d'emploi de la force »). Et malgré le fait que la matraque n'avait « pas d'effet » sur Michel (sauf les bleus qui couvrent son corps à la fin de l'intervention policière), on a finalement décidé d'ajouter cette arme à l'arsenal des policiers...))

 

Par la suite, un policier projette Michel au sol, à plat ventre. Les policiers se mettent à six dessus pour lui passer des menottes aux poignets et aux chevilles. Une femme affirme qu'elle a vu une policière frapper la tête de Michel par terre 2 à 3 fois. Elle a dit « Ils vont le tuer. » Bizarrement, son témoignage ne fait pas partie de la preuve présentée lors de cette enquête publique... Malheureusement pour la vérité, personne n'a filmé la scène. Par contre, on entend clairement Michel crier sur les ondes radio du SPVM. Les policiers disent qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il disait. On entend clairement qu'il souffre atrocement, avant de mourir. Les photos de son visage après son arrestation et les nombreuses marques de violence partout sur son corps ne laissent aucun doute qu'il a subi de la violence policière, ce que personne n'a nié. La question est: a-t-elle contribué à son décès?

 

Est-ce qu'on peut dire que la brutalité policière est la seule cause de la mort de Michel Berniquez? Non. Probablement que la drogue a aussi joué un rôle. Mais comment peut-on prétendre que sa mort est due uniquement à la drogue et à « l'énergie dépensée durant son arrestation »? N'est-ce pas pour éviter et résister aux coups, pour retrouver son souffle que Michel s'est débattu, entre d'autres mots « a dépensé de l'énergie », durant son arrestation? Le fait qu'il soit resté couché à plat ventre durant de longues minutes est une question que le COBP voulait aborder. Vous ne l'avez pas laissé, laissant cette question en suspend au lieu de profiter de cette occasion pour tenter d'y trouver une réponse satisfaisante.

 

Mme la coroner, on sait très bien que la loi ne permet pas aux coroners de rechercher des coupables, juste la vérité, mais à force de manipuler la vérité pour lui faire dire ce qu'on veut, on donne au public l'impression qu'on tente par tous les moyens de protéger les coupables plutôt que de protéger des vies humaines... Et que pour ça, on jette le blâme sur la victime. Le coroner Ferland n'a-t-il pas dit que « Michel Berniquez a été l'artisan de son propre malheur »? Comme s'il s'était tué tout seul...

 

La question ici n'est pas si les policiers avaient l'intention de le tuer. Le président de la Fraternité des Policiers et Policières de Montréal, Yves Francoeur, affirme souvent que les policiers ne se lèvent pas le matin en se disant « Ah! Je veux tuer quelqu'un aujourd'hui! » Les policiers impliqués dans des bavures policières sont sûrement sincèrement en état de choc. (Imaginez ce que subissent les familles!) Mais le résultat est là comme preuve indéniable que c'est bien ce qui est arrivé. On nous a même dit que les « techniques » policières de la « flèche » (intervention en équipe) et au sol avaient été réalisées « avec succès ». Sauf qu'on n'avait pas dit aux policiers qu'une personne pouvait mourir ainsi. Maintenant qu'on le sait, qu'est-ce qu'on fait? Les autorités continuent de nier toute erreur, ce qui fait qu'au lieu de la reconnaître et de la régler, on nous garanti qu'il y en aura d'autres et qu'il faudrait s'y résigner...

 

Heureusement et paradoxalement, tout en niant que la brutalité policière a joué un rôle dans la mort de Michel Berniquez, vous posez Mme la coroner une question fondamentale pour prévenir d'autres morts semblables et évitables: comment mieux intervenir auprès des personnes en crise? Poser cette question, c'est reconnaître qu'il y a bel et bien eu un problème, un drame même (la mort de Michel) et que cette situation n'est malheureusement pas exceptionnelle.

 

2) Drogue et santé mentale: comment intervenir auprès des personnes en crise?

 

La conclusion du coroner Michel Ferland comme quoi Michel Berniquez aurait « choisi » de prendre de la drogue alors qu'il savait que ça pouvait le rendre agressif et donc l'amener à sa faire brutaliser par la police traduit une incompréhension (peut-être volontaire?) du phénomène de la toxicomanie. Si le fait de consommer des drogues peut être une décision éclairée, un choix individuel libre et volontaire pour le plaisir, ce n'est pas toujours le cas. Comme la Cour Suprême du Canada l'a reconnu récemment dans son jugement en faveur du Service d'Injection Supervisée Insite de Vancouver contre le gouvernement conservateur, l'addiction est une maladie chronique qui fait que si on ne consomme pas de drogues, on se sent mal physiquement, bref on est malade. Il est possible d'arrêter de consommer des drogues, mais ce n'est jamais facile. Encore moins quand la personne qui consomme des drogues vit aussi d'autres difficultés dans sa vie, comme c'est souvent le cas, entre autres des problèmes de santé mentale, problèmes financiers, précarité d'emploi et en logement, etc.

 

Au lieu de blâmer une personne parce qu'elle a consommé des drogues, encore moins pour sa propre mort, il faudrait en tant que société qu'on fasse tout en notre pouvoir pour aider les personnes qui consomment des drogues là où elles sont rendues dans leur cheminement. On ne peut pas forcer une personne à arrêter de consommer. Il faut lui offrir tout le soutien possible pour l'aider à améliorer sa qualité de vie, ce qui, éventuellement, l'amènera à diminuer, voire arrêter de consommer.

 

C'est pourquoi la guerre à la drogue, qui en pratique se traduit par une guerre aux drogués, est vouée à l'échec. À ce sujet, permettez-moi de citer l'agent de la police de Vancouver Gil Puder qui dit que les policiers se voient souvent comme des guerriers ou des sauveurs dans cette « guerre à la drogue » (Puder avait lui-même tué un jeune drogué en 1984). L'agent Puder, qui a d'ailleurs été menacé pour avoir osé critiquer publiquement la « guerre à la drogue » et les abus commis par certains de ses collègues contre les habitants du quartier Downtown Eastside, a dit en 1998: « Encore plus puissant que toute drogue est l'effet intoxiquant sur notre ego quand une population apeurée se tourne vers nous pour la sauver. Alors que l'on aime le prestige de ce rôle, des agents de police déifiés qui confrontent des usagers de drogues démonisés est une recette pour l'abus. L'exemple le plus répugnant est le fait de tirer inutilement des personnes, dont plusieurs ne sont pas armées. »(1)

 

Quant à la question des problèmes de santé mentale, on parle souvent de la « désinstitutionnalisation » des personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale, soit le fait qu'on enferme moins les gens pour toutes sortes de choses. (Par exemple, des gens, en particulier des femmes, étaient internées durant des décennies parce qu'elles... fumaient la cigarette!) Or, suite à la mort de Mario Hamel cet été, on a entendu des appels à retourner en arrière et à interner de nouveau les personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale. Selon nous, ce retour vers le passé n'est pas une solution humaine et ne vise aucunement à aider ces gens. Par contre, il faudrait que le gouvernement augmente considérablement le financement des ressources en santé mentale et des services sociaux, en particulier des organismes communautaires.

 

Comme l'a dit le Dr. James Farquhar, psychiatre à l'hôpital Douglas et président de la Coalition de la Santé Mentale du Québec, suite à la mort de Michel Berniquez: « Il y a des milliers de voix étouffées, dont les morts auraient pu être évitées avec des services peu dispendieux. » Selon lui, « au lieu de laisser la police s'occuper de cette situation désastreuse, le gouvernement du Québec devrait renverser les dommages faits durant ces dernières décennies et immédiatement restaurer le financement qui a été coupé et changer son approche en santé mentale. » Il recommandait l'embauche de 1000 à 2000 « case managers » (intervenants sociaux) pour aider les personnes vivant avec des problèmes de santé mentale qui sont souvent aussi sans-abri.(2)

 

Le Dr. Farquhar est loin d'être le seul à dire que le manque de ressources dans le réseau de la santé et des services sociaux est en bonne partie responsable de drames comme celui de Michel Berniquez. En effet, vous serez probablement surpris qu'on soit encore d'accord avec un policier, mais permettez-moi de citer le président de la Fraternité des policiers de Québec, Bernard Lehré, qui a déclaré cet été que « le drame (de la mort de Hamel et Limoges) aurait pu être évité si le ministre Couillard (ministre québécois de la santé en 2006) avait pris les mesures nécessaires à l'époque. » Selon Lehré, « C'est le quotidien de nos policiers d'avoir à composer avec des situations comme celle qui a mené au drame à Montréal. » Il continue: « Nos prisons sont devenues des salles d'attente pour gens ayant besoin de soins psychiatriques. Je souhaite que le ministre Yves Bolduc prenne ses responsabilités et agisse. Ce qu'on ne dépense pas au ministère de la Santé en négligeant d'aider suffisamment ces personnes, on le dépense au ministère de la Sécurité publique et au ministère de la Justice. » La Fédération des policiers municipaux demandait un forum sur la désinstitutionnalisation en 2006 parce que « le manque de ressources en santé et en services sociaux » causait « un accroissement inutile de la criminalisation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale grave ». On n'aurais pas pu dire mieux! M. Lehré sait de quoi il parle, vu que des policiers de Québec ont été impliqués dans deux morts d'hommes en crise: Claudio Castagnetta en 2007 et Stéphane Datey en 2005.(3)

 

Donc, tout le monde est d'accord que la criminalisation des personnes en crise n'est pas une solution, mais que c'est pourtant ce qui se fait présentement dans les rues du Québec. Les policiers ne sont pas les personnes qu'il faut pour intervenir auprès des personnes en crise. Comme preuve, je citerai encore le président de la Fraternité des Policiers et Policières de Montréal, qui représente tous les agents du SPVM, qui a dit suite au décès de Fredy Villanueva à Montréal-Nord: « Notre boulot, à la police, c'est la répression. Nous n'avons pas besoin d'un agent sociocommunautaire comme directeur, mais d'un général. Après tout, la police est un organisme paramilitaire, ne l'oublions pas.» Ces propos qui se passent de commentaire visaient à critiquer la compassion affichée par des hauts gradés du SPVM qui s'étaient rendus aux funérailles de Fredy...(4)

 

Cette fois encore, on ne peut qu'être en accord avec la franchise des syndicats policiers! Les policiers ne sont pas des intervenants psychosociaux, c'est pour cette raison qu'il ne fait pas que ce soit eux qui soient chargés de s'occuper des personnes en crise, qu'elles soient consommatrices de drogues et/ou qu'elles vivent avec des problèmes de santé mentale, car ces personnes ont besoin d'aide, pas d'être brutalisée, criminalisées ni tuées. La question ici n'est pas seulement un manque de formation ou de sensibilité des policiers, c'est le fondement même de leur travail: la répression. Face à une personne en crise, les policiers utilisent les « outils » et « techniques » qu'on leur a enseigné: l'intimidation, la confrontation, la brutalité, bref, l'usage de la force létale si la personne ne montre pas de « signes de soumission ». Pourtant, on ne parle pas ici de menace à la vie. On a Michel Berniquez, un homme sans arme qui est désorganisé et agressif. La seule menace à la vie dans cette histoire, c'est le gouvernement qui abandonne des personnes en détresse à leur sort, puis lance à leurs trousses des policiers formés pour faire la « guerre au crime », pas pour aider des gens.

 

On constate depuis les années 1990 une baisse du nombre de crimes, mais une augmentation des budgets et de l'arsenal de la police. Si on voudrait être conséquents avec cette baisse du nombre de crimes et l'augmentation des besoins en santé et services sociaux, il faudrait simplement réduire les budgets de la police et diriger cet argent là où il va vraiment servir à aider les gens, pas à les tuer. Les obstacles à cette solution sont le pouvoir des syndicats de policiers au Québec (qui paradoxalement se plaignent de devoir intervenir auprès des personnes en crise!) et les décideurs politiques qui préfèrent accorder des subventions et des baisses de taxes aux riches, tout en coupant dans les services sociaux, en particulier ceux pour les personnes les plus démunies et vulnérables.

 

À ce sujet, on constate partout dans les soi-disant « pays riches » une crise financière et sociale sans précédant. Le nombre de personnes sans-abri augmente sans cesse, avec les problématiques de consommation de drogues et de santé mentale qui sont souvent inter-reliées. Il ne faudrait donc pas oublier les personnes « en crise sociale » si vous me permettez l'expression. En effet, il n'est pas plus « juste » de tuer une personne qui a volé des oeufs au dépanneur, comme Jorge Chavarria-Reyes en 1990, que de tuer un sans-abri qui dérange des gens sur une terrasse du boulevard St-Laurent (Jean-Pierre Lizotte). Or, la majorité des personnes qui se font tuer par la police étaient des personnes en crise ou encore des personnes qui avaient commis un vol, ce qui traduit une détresse économique et sociale.

Pensons par exemple à Michel Paradis, un agent du SPVM mort quelques jours après Noël 1997 suite à un accident de voiture lors d'une poursuite... il venait de voler des jouets pour enfants dans un magasin.

 

On vous suggère donc d'appliquer les recommandations suivantes non seulement pour les interventions policières auprès des personnes en crise liée à la drogue et à la santé mentale, mais aussi à toute intervention policière car la vie humaine n'a pas de prix et ce, peu importe les gestes qui ont été posés. Évidemment que la loi permet aux policiers d'utiliser une force mortelle quand la vie humaine est en danger. Mais en pratique, la force mortelle est systématiquement justifiée après coup.

Même lorsqu'il s'agit d'une personne non armée tirée à bout portant, comme Fredy, Martin Suazo, etc...

3) Recommandations pour une meilleure protection de la vie humaine (c'est urgent!)

(en d'autres mots, pour arrêter ou en tout cas réduire les risques de brutalité et de bavures policières)

 

-Aux policiers impliqués dans la mort de Michel Berniquez et tous leurs confrères:

Comme la loi sur la police vous l'ordonne, brisez la loi du silence, l'Omerta bleue, dénoncez les abus et la collusion au sein de la police! Vous serez sûrement rejetés, voir menacés, par certains de vos pairs, comme l'a été François Van Houtte qui a osé critiquer le « travail » du policier assassin Jean-Loup Lapointe, mais au moins vous pourrez avoir la conscience tranquille car c'est la seule façon pour vous de changer les choses pour que cessent ces abus et leur impunité.

 

-À la Ville de Montréal et au SPVM (car les 2 ne font qu'1 en fait...):

Arrêtez de défendre les policiers à tout prix peu importe ce qu'ils font. En agissant ainsi vous tentez d'éviter des poursuites au civil, mais vous démontrez que vous ne représentez pas les citoyens et citoyennes de cette Ville. Vous devez reconnaître vos erreurs et les abus pour les corriger, y mettre fin et dédommager les victimes et leurs familles. Reconnaissez qu'il existe un grave problème systémique de profilage social, racial et politique et mettez-y fin. Abolissez les règlements municipaux absurdes qui donnent aux policiers des outils pour cibler arbitrairement les personnes sans-abri ou les jeunes dans l'espace public, comme l'a recommandé la Commission des Droits de la Personne en 2009. Cessez la répression politique, les arrestations de masse de manifestants contre la brutalité policière, étudiants et anti-capitalistes, une pratique de même le Comité des Droits Humains de l'ONU a déclaré en 2005 qu'elle constituait une violation du droit fondamental à la liberté d'expression et d'association. Retirez les accusations et les contraventions contre les centaines de manifestants arrêtés le 15 mars dernier lors de la manifestation contre la brutalité policière pour avoir soi-disant « entravé la circulation ». Abolissez immédiatement l'escouade GAMMA et cessez la surveillance des personnes et groupes considérés comme « anarchistes et marginaux ». Abolissez l'escouade Éclipse: ce n'est pas en étendant les activités de harcèlement et d'intimidation d'Éclipse à tous les quartiers de la ville qu'on mettra fin aux abus commis par cette « gang » de policiers, ni le ressentiment d'une bonne partie de la population envers les autorités qui a été une des causes de l'émeute de Montréal-Nord en août 2008.

 

-À la Fraternité des Policiers et Policières de Montréal:

Cessez d'entraver la justice et la vérité dans les cas de brutalité et de bavures policières. En censurant les critiques des abus commis par vos membres (comme le texte du COBP intitulé « D'Anthony Griffin à Mohamed Anas Bennis: 40 personnes tuées par la police de Montréal en 20 ans (1987-2006) »), en militant pour plus d'impunité pour les policiers (le droit de rester policier même après avoir été reconnu coupable d'un crime), en affirmant que « la police a toujours bien fait son travail », en vous vantant d'avoir fait tomber des chefs de police parce qu'ils avaient osé céder aux pressions populaires en ne défendant pas sur la place publique des policiers assassins (dans l'affaire Griffin et l'affaire Marcelus François), en démonisant les victimes de vos agents et leurs alliés, vous ne rendez pas service aux policiers, vous les faites passer pour des ennemis de la société qu'ils prétendent « servir et protéger ».

 

-Au Gouvernement du Québec, au Ministère de la Sécurité publique et à l'École de police de Nicolet:

-Mettre sur pied immédiatement une équipe civile d'intervention en situation de crise, formée d'intervenants communautaires capables d'intervenir auprès d'une personne en crise, même agressive et armée, de manière le plus non-violente possible, c'est à dire sans armes et sans la tuer. Cette équipe devra s'inspirer des techniques utilisées dans les hôpitaux pour maîtriser une personne en crise, où aucune violence physique ni aucune arme n'est utilisée et qui, à notre connaissance, ne causent pas de morts. Suite à la mort de Claude D'Auteuil à Cantley en Outaouais, en août 2010, la formation d'une telle escouade a été réclamée par un policier de 20 ans d'expérience, M. J. Pierre Légaré qui déclarait que la police est un « organisme impropre à intervenir » dans des situations de personnes en crise et qu’il a souvent vu comme policier dans de telles interventions « des automatismes de défenses de la part des policiers qui juste par leur seule présence ou réputation avaient plus tendance à aggraver la situation que de protéger vraiment la sécurité. » Selon ce policier d'expérience, « plus il y aura des échecs de ce genre et plus la police démontre une impuissance à se montrer crédible et agir efficacement auprès de personnes en crise. » Il propose donc « deux corps policiers distincts »: « La police traditionnelle à contravention et interventions criminelles et une brigade de spécialistes agréées d'assistance aux citoyens. » D’après sa vision, « cette dernière libérée de l'aura à gros bras et de répression criminelle, interviendrait exclusivement pour tenter de résoudre des conflits humains, ce qui représente peut-être 80% des interventions d'appel de citoyens. »(5)

-Bien que nous croyons qu'une telle avenue est essentielle, nous doutons que cette recommandation sera recommandée et encore moins adoptée. C'est pourquoi nous recommandons également au MSP de modifier le Tableau d'emploi de la force (ou de brutalité policière) pour que la force « nécessaire » soit vraiment minimale pour contenir une personne en crise sans la tuer: utilisation de méthodes à mains nues contre une personne non-armée, utilisation du bâton contre une personne armée d'un couteau. Suite à la mort de Mario Hamel, le journal La Presse a publié l'histoire tragique d'un jeune qui a des problèmes de santé mentale et qui avait un couteau. Il a été littéralement criblé de balles par des agents du SPVM, mais est resté debout et vivant, avant que l'un d'eux ose enfin s'avancer et taper la main qui tenait le couteau avec sa matraque, ce qui mit fin à la « menace ».(6) Ils auraient pu tenter cette technique en premier, mais ce n'est pas ce que le MSP et l'École de police de Nicolet leur enseigne... Pourtant, ce n'est pas que des alternatives n'existent pas. En effet, suite à la mort de Mario Hamel et Patrick Limoges, la Dr. Herta Guttman, qui était Directrice du Département de Psychiatrie à l'Hôpital Royal Victoria a publié une lettre dans le journal The Gazette où elle affirmait qu'elle avait contacté le SPVM il y a 20 ans pour leur proposer de suivre un cours qu'ils avaient développé pour contrôler des patients agités sans utiliser aucune arme. Le SPVM ne leur a jamais répondu. Il serait grand temps que la police s'informe sur les façons de maîtriser une personne en crise sans la tuer qui existent et leur ont été offertes il y a 20 ans et 60 morts plus tôt...(7)

-Les policiers devraient toujours favoriser la communication, la négociation et la baisse de la tension plutôt que la confrontation et l'escalade de la violence.

-Mettez fin immédiatement à l'enseignement et à l'usage de techniques policières meurtrières, dont:

le fait de maîtriser une personne en la plaquant à plat ventre au sol;

l'usage du Taser gun (une arme soi-disant « non-létale » qualifié d'outil de torture par un comité de droits humains européen et qui a déjà causé plus de 700 morts en Amérique du Nord, dont 29 au Canada);

l'usage du poivre de cayenne (autre arme soi-disant « non-létale » qui a aussi causé 4 morts à Montréal et 1 à Québec);

les poursuites policières (qui, malgré vos recommandations et les directives du MSP, continuent de faire des victimes inutiles et évitables);

et l'usage d'armes à feu contre des personnes non-armées ou armées seulement de couteaux.

-Cesser de tirer systématiquement plusieurs balles au « centre masse » (là où se trouvent les organes vitaux). Apprenez à tirer mieux ou ne tirez pas du tout. En attendant, comme l'a réclamé une membre de la famille d'un homme tué par des policiers, cessez le feu et désarmez la police!

-Au lieu de patrouiller les rues à la recherche de gens à harceler, restez dans vos postes de police et attendez qu'on vous appelle si on a vraiment besoin de vous.

-Modifiez la loi P-38, « Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou autrui » pour que les policiers aient l'obligation d'appeler des intervenants communautaires (comme ceux d'UPS-Justice) lorsqu'ils font face à une personnes en crise, plutôt que de leur laisser l'option comme c'est le cas actuellement (ce qui fait que souvent les policiers, surtout ceux qui sont le plus de style « Rambo », n'appellent pas des « civils » car ils considèrent qu'ils sont capables de « faire la job » et qu'ils ne croient pas en l'intervention sociale).

-Augmenter considérablement le financement des services sociaux et de santé pour les personnes vivant avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, ce qui permettra d'aller chercher des fonds en réduisant le budget de la sécurité publique.

-Offrir des formations et des outils (ex: le Narcan) aux personnes utilisatrices de drogues afin qu'elles puissent jouer un rôle de prévention des morts par overdoses sur la ligne de front auprès de leurs pairs, comme ça s'est déjà fait entre autres à Edmonton.

 

-Réformer en profondeur la Déontologie policière afin de lui donner des dents, c'est-à-dire de punir réellement les policiers même pour des simples manques de respect et de politesse, abolir la conciliation qui est une autre façon de protéger les policiers et leurs abus, former des enquêteurs civils pour mener les enquêtes plutôt que des anciens policiers comme c'est le cas actuellement.

 

-Mettre fin immédiatement et véritablement aux enquêtes de la police sur la police, au lieu de faire semblant d'améliorer le système comme le ministre Dutil tente de faire actuellement. Former des civils pour mener les enquêtes (si des policiers sont capables de le faire, pourquoi pas des civils?). Permettre aux familles et à des groupes communautaires et militants de jouer un rôle dans ces enquêtes. Leur donner une réelle transparence, c'est-à-dire d'informer le public sur les causes et circonstances de la mort et des raisons de la décision de porter accusations (ou non). Nommer des procureurs spéciaux pour prendre cette décision, et pas procureurs de la Couronne, qui sont trop proches des policiers, comme c'est le cas actuellement. Mettre fin à l'impunité policière: accuser les policiers qui tuent des personnes alors que la vie humaine n'était pas réellement en danger ou quand ils ont commis une faute.

 

-Enquêtes publiques du coroner: Permettre aux groupes représentant des membres de la communauté d'y participer pleinement, pas seulement les familles de victimes. En effet, si les enquêtes publique du coroner ont pour but de rassurer le public, il faut lui permettre d'y participer pleinement. Mener les enquêtes pour répondre aux inquiétudes et questions des membres des familles de victimes et de la communauté, pas seulement pour répéter la version des policiers. Remettre en question les enquêtes de la police sur la police (la pseudo-réforme du ministre Dutil démontre qu'il y a une crise de confiance de la population envers ces enquêtes) au lieu de simplement répéter la version policière comme si c'était la vérité, malgré ce qu'on sait que la collusion entre les policiers, leurs fraternités, les enquêteurs policiers, etc. Sinon c'est en effet, comme le dit la Fraternité des policiers de Montréal, on ne fait que gaspiller des fonds publics, surtout si on ne fait aucune recommandation pour une meilleure protection de la vie humaine. Encore faut-il qu'elles soient appliquées rapidement, sans quoi il y aura d'autres victimes de bavures policières évitables. On ne veut pas que l'apparence d'impartialité, mais la justice. Mais pendant qu'on y est, pourquoi pas déménager pour ne plus avoir vos bureaux (ainsi que le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale) dans l'édifice qui abrite lequartier général de la SQ?

 

-Au gouvernement du Canada:

-Instaurer une Commission Royale d'enquête sur les bavures policières et l'impunité au Canada afin d'informer la population sur l'ampleur du phénomène et y trouver des remèdes.

-Reconnaître que l'usage de drogue a toujours existé et n'a pas toujours été illégal. Au lieu de gaspiller des millions de dollars dans une « guerre à la drogue » qui nuit à la santé des consommateurs sans arriver aucunement à éliminer ni la vente et ni la consommation de drogues, il vaudrait mieux rediriger ces ressources aux services communautaires de réduction des méfaits, comme les Services d'Injection Supervisés, et inclure les personnes utilisatrices de drogues pour qu'elles fassent partie de la solution et qu'on reconnaisse qu'elles sont des citoyens à part entière comme vous et moi.

 

 

Conclusion:

 

Pour une raison qui nous échappe, vous avez refusé qu'on vous présente un mémoire écrit. Notre déclaration sera néanmoins disponible sur l'internet sous peu, avec nos sources, pour le bénéfice du public et des médias.

 

On compte sur vous pour reprendre nos recommandations afin de mettre fin aux abus policiers, aux bavures et à l'impunité au Québec.

 

Aux membres de la communauté, on vous invite à la vigilance et à continuer la lutte pour la justice, la vérité et la dignité sans attendre!

 

Justement, l'Association Québécoise pour la Promotion de la Santé des personnes Utilisatrices de Drogues tient un rassemblement public à la sortie Notre-Dame de ce Palais de « Justice » pour réclamer de l'aide et pas de la violence policière pour les personnes en état de crise. Dans la rue, on a encore le droit de crier « NON À LA BRUTALITÉ POLICIÈRE ET À L'IMPUNITÉ! »

 

 

Pour plus d'informations:

Coalition Justice pour Anas

www.justicepouranas.org

Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP)

www.cobp.resist.ca

 

 

Sources:

1) « Raise Shit! Social Action Saving Lives », Susan Boyd, Donald MacPherson, Bud Osborn, Fernwook Publishing, 2009, p. 129)

2) Patrick Lejtenyi, « Cutback complicity, Strained health system may have contributed to Michel Berniquez’s death », Montreal Mirror, 10 juillet 2003, http://www.montrealmirror.com/ARCHIVES/2003/071003/news2.html

3) Jean Pascal Lavoie, « Fusillade à Montréal: le drame aurait pu être évité, selon Bernard Lehré », Le Soleil, 10 juin 2011, http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201106/09/01-4407766-fusillade-a-montreal-le-drame-aurait-pu-etre-evite-selon-bernard-lehre.php

4) Richard Martineau, « La crise », Le Journal de Montréal, 21 août 2008, http://fr.canoe.ca/infos/chroniques/richardmartineau/archives/2008/08/20080821-052600.html

5) Philippe Orfali, « Fusillade à Cantley vendredi dernier – Un drame toujours inexpliqué par les voisins », Le Droit, 22 août 2010, http://www.cyberpresse.ca/le-droit/actualites/justice-et-faits-divers/201008/22/01-4308796-un-drame-toujours-inexplique-par-les-voisins.php

6) André Noël, « Un drame qui rappelle de tristes souvenirs », La Presse, 9 juin 2011, http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201106/09/01-4407475-un-drame-qui-rappelle-de-tristes-souvenirs.php

7) Herta Guttman, « Police ignored offer of training », The Gazette, June 15, 2011.

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