Affaire Kazemi: la torture est un acte officiel protégé par l'immunité des États, dit la Cour Suprême du Canada!

La famille Kazemi ne pourra poursuivre l’Iran, tranche la Cour suprême
11 octobre 2014 |Brian Myles | Justice

La mort atroce de la photojournaliste Zahra Kazemi restera impunie. La Cour suprême a clos le débat vendredi en rejetant une poursuite de 17 millions de dollars intentée par son fils contre l’ayatollah Ali Khamenei et l’Iran.

La cause soulevait d’importantes questions de droit sur l’étendue de l’immunité contre les poursuites en sol canadien accordée aux États étrangers.

L’arrêt Kazemi oppose en quelque sorte deux principes fondamentaux : la nécessité de réprimer la torture et le maintien des assises de la diplomatie internationale.

Entre ces deux extrêmes, la Cour suprême a choisi de protéger le régime diplomatique.

Il n’existe « aucune exception à l’immunité des États étrangers pour des actes allégués de torture commis à l’extérieur du Canada », a tranché la Cour suprême, dans un arrêt à six contre un.

Le plus haut tribunal du pays fait preuve de retenue, en respectant le choix du législateur de ne pas autoriser les poursuites civiles contre des États étrangers. « La création de ce type de compétence aurait des conséquences potentiellement graves sur les relations internationales du Canada. Cette décision incombe au législateur, et non aux tribunaux », écrivent les six juges.

Les juges majoritaires estiment que les agents de l’État iranien qui ont torturé et provoqué la mort de Zahra Kazemi, à Téhéran, ont posé « des actes officiels », sanctionnés par le régime Khamenei.

Malgré toute l’horreur et le dégoût qu’inspire la torture, leurs gestes sont couverts par la Loi sur l’immunité des États. « […] il est possible que la torture constitue un acte officiel, estiment-ils. Il n’appartient pas à un tribunal national de “ faire évoluer ” le droit international en adoptant de façon unilatérale une version de ses règles qui, aussi souhaitable, avant-gardiste et fidèle aux valeurs adéquates qu’elle puisse être, n’est tout simplement pas acceptée par les autres États. »

Une dissidente forte

La juge dissidente, Rosalie Abella, ne partage pas la retenue de ses collègues, et elle aurait autorisé les poursuites contre l’Iran.

Selon la juge Abella, « rien ne permet de faire entrer la torture dans la catégorie des conduites étatiques officielles qui donnent naissance à une immunité individuelle ».

Il a fallu près d’un siècle pour gagner la communauté internationale à l’idée que les violations des droits de la personne « menacent la paix et la stabilité mondiale ».

« La prohibition de la torture est une norme impérative, tranche la juge Abella. Ceci veut dire que la communauté internationale a convenu qu’aucun État ne peut y déroger. Il faut alors se demander comment la torture peut être considérée comme une fonction officielle pour l’application du principe de l’immunité en droit international quand le droit international lui-même interdit universellement cette pratique. »

Impunité

Zahra Kazemi a été arrêtée le 23 juin 2003, à Téhéran, alors qu’elle prenait des photos de l’extérieur de la prison d’Evin. Elle a été battue, violée et torturée pendant ses deux semaines de captivité. Ses tortionnaires l’ont largué inconsciente à l’hôpital, où elle est morte des suites d’une lésion cérébrale, le 12 juillet 2003.

Les autorités iraniennes ont traduit un seul des responsables de sa mort en justice. Il a été acquitté à la suite d’un procès « marqué par un manque de transparence », relève la Cour suprême dans son arrêt.

Se disant incapable d’obtenir justice en Iran, le fils de la photojournaliste, Stephan Hashemi, a intenté en Cour supérieure une poursuite de 17 millions contre l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, le procureur en chef des poursuites pénales de Téhéran, Saeed Mortazavi, et l’ancien chef adjoint du renseignement à la prison d’Evin, Mohammad Bakhshi.

Ses avocats ont fait valoir, sans succès, que le droit international obligeait les tribunaux canadiens à se saisir des poursuites au civil pour des cas de torture à l’étranger, selon le principe de la compétence universelle invoqué notamment pour les crimes de guerre et le génocide.

M. Hashemi a été débouté en Cour supérieure et en Cour d’appel. À son tour, la Cour suprême conclut que la Loi sur l’immunité des États ne souffre d’aucune ambiguïté.

Le gouvernement Harper a déjà levé l’immunité des États pour les affaires de terrorisme, en 2012. Rien ne l’empêche d’en faire autant pour les cas de torture, constate enfin la Cour suprême.

À Ottawa, la critique du NPD en affaires étrangères, Hélène Laverdière, a dit espérer que le gouvernement modifie la loi. « Il y a quelques années, le gouvernement a levé l’immunité pour des cas de terrorisme pour certains pays. Pour ce qui est de la torture et des droits de la personne fondamentaux, ça devrait être inclus au même titre que le terrorisme », a-t-elle dit.

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