Pour une surveillance continue et indépendante des opérations policières québécoises

« Le contrôle interne des corps policiers n’est pas suffisamment rigoureux pour prévenir les abus. L’explication la plus communément avancée de cette carence est la grande solidarité de groupe qui lie les policiers entre eux. »

« L’un suivait les ordres, l’autre les donnait en s’estimant cautionné par ses supérieurs et ces derniers plaident l’ignorance de ce qui se passait. »

Ces citations, tirées du rapport de la Commission d’enquête sur les opérations policières en territoire québécois (Keable, 1981), résonnent de façon particulièrement frappante avec les événements de cette semaine. Malgré les apparences, les récents scandales ne portent pas uniquement sur l’espionnage de journalistes au SPVM et à la SQ et sur l’espionnage au SPVM de groupes marginaux et anarchistes, fondés présumément sur leurs convictions politiques (des motifs discriminatoires et dérogatoires). Les scandales touchent également et profondément au cautionnement d’opérations policières et de leurs cibles, pour le moins douteuses (allant visiblement des journalistes aux marginaux et anarchistes), par les plus hautes sphères des corps policiers québécois et du politique.

« Le contrôle ne doit laisser aucune place à l’ingérence politique », concluait le rapport Keable. Et ici, l’ingérence politique dans l’autorisation et le cautionnement de cibles policières inappropriées vient notamment de la haute direction opérationnelle du SPVM et de l’ancien ministre de la Sécurité publique. En effet, cette semaine, divers récits journalistiques ont montré comment le Comité de direction de la Direction des opérations du SPVM avait déclenché une chasse aux journalistes en rapportant sa volonté de « briser la culture du coulage » et, en avril 2010, comment il avait autorisé le projet GAMMA (Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes) sur la base de convictions politiques problématisées. Quant à l’espionnage des journalistes à la SQ, les propos de Stéphane Bergeron, ancien ministre de la Sécurité publique, sont en cause puisqu’il aurait explicitement demandé à la SQ d’enquêter sur les fuites de l’enquête « Diligence ».

La question des balises encadrant les opérations policières et leur autorisation aux plus hauts niveaux devient donc criante. Heureusement pour nous, la commission Keable, dans ses travaux sur les opérations policières liées à la lutte contre le terrorisme au Québec entre 1971 et 1973, s’était déjà penchée sur la question et avait soumis une recommandation, largement ignorée par les autorités politiques à l’époque, mais d’une pertinence évidente aujourd’hui.

Keable et le Registrariat des opérations policières québécoises

Pour la commission Keable, le contrôle efficace des opérations policières présuppose la connaissance de la nature de ces opérations, ainsi qu’une volonté (pas toujours manifeste) de l’acquérir de la part des autorités mandatées pour exercer ce contrôle. Si l’exercice d’un contrôle des corps policiers par le ministre n’est pas complètement exclu pour Keable, on ne saurait toutefois exiger du ministre qu’il exerce personnellement un contrôle sur les opérations policières en constituant, à lui seul, un organisme de supervision.

C’est dans cette optique que la Commission d’enquête avait recommandé la création d’un Registrariat des opérations policières effectuées par les corps policiers québécois, dans des domaines où les droits des citoyens étaient le plus susceptibles d’être lésés (le renseignement de sécurité, la lutte antisubversive, les mesures d’urgence, le contrôle des foules, etc.).

Sorte d’organisme-tampon entre le politique, les hautes directions opérationnelles et les corps policiers, Keable proposait d’assigner au Registrariat la fonction d’être le dépositaire permanent d’une copie de tous les documents produits et recueillis par les services de sécurité, les escouades spécialisées dans la lutte antisubversive et les sections d’enquêtes criminelles, d’une copie de tous les documents émanant de la direction d’un corps de police qui seraient pertinents pour la connaissance de la nature des opérations de ces diverses sections et pour l’évaluation de leur légalité et d’une copie de toute directive ou consigne des autorités politiques à un corps policier.

Keable assignait également au Registariat la fonction d’examiner les documents et de communiquer toute irrégularité par rapport aux lois existantes que pouvait révéler l’étude de ces documents au procureur général du Québec et au service des enquêtes internes du corps policier impliqué. En cas de conflit entre le Registraire et le procureur général, les parties auraient eu le pouvoir d’en informer l’Assemblée nationale. Ce que Keable recommandait donc, c’était une procédure de contrôle indépendante et continue des opérations policières, procédure qui n’existe toujours pas au Québec.

Une commission d’enquête publique élargie

Personne n’en voudrait au gouvernement du Québec d’élargir ses vaillantes et promptes propositions à une commission d’enquête publique qui non seulement permettrait de connaître l’ampleur de la surveillance policière des sources journalistiques, mais également de connaître toute l’ampleur de la surveillance policière qui a touché les mouvements marginaux et anarchistes au SPVM. Le mandat de la commission devrait donc être élargi à ces autres cibles inappropriées, mais également faire toute la lumière sur les mécanismes par lesquels il y a eu autorisation et cautionnement de ces cibles de surveillance aux plus hautes sphères. Une telle commission devrait être en mesure d’aller au fond des choses et de proposer des recommandations pour mieux encadrer, de façon indépendante et continue (nous le souhaitons vivement), les opérations policières des corps policiers au Québec.

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